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Mustapha, presque sans émotion apparente, conservant la nonchalante position qu’il avait, promit, avec une sorte de fierté indifférente et impassible, de se rendre chez le pacha le lendemain après la prière de midi.

Cependant un observateur attentif aurait pu remarquer une contraction dans sa lèvre inférieure, une teinte de plus dans la pâleur habituelle de son visage, un mouvement involontaire de sa main droite vers sa poitrine, où il cachait le firman homicide.

Il était midi au palais de Scheik-Abou-Bekr, résidence du pacha d’Alep. Un triple rang de kawas tapissait la grande salle du seraï dans un silence respectueux et solennel. Ahmed-Pacha, à l’angle de la salle, faisait sa prière sur un tapis, la face tournée vers la Mecque. Qu’il était noble et majestueux ! ce pouvoir sans bornes dont il était entouré, cet acte religieux auquel il se livrait, sa tête qu’animait une indicible dignité, ces mouvemens marqués par la prière, tantôt humbles jusqu’à se prosterner, tantôt fiers jusqu’à parler à Dieu, la face haute et les yeux tournés vers le ciel ; puis ces fenêtres resplendissantes, ces murailles nues et sombres, ce beau divan, ce bassin dont le léger murmure semblait caresser le silence : c’était une scène grande et belle à voir. Mais malgré le respect de ce lieu, la sainteté du moment, un homme pénètre brusquement dans l’asile redouté. Les kawas ont déjà porté la main à leurs yatagans. Ils se pressent vers l’audacieux, mais ils ont reconnu le scheik attendu, ils reculent avec respect et le saluent profondément. Mustapha, en entrant, vit le pacha en prière, alla lui-même prendre un tapis au pied du divan, l’étendit près de celui d’Ahmed, et unit sa prière à la sienne avec une gravité imposante qui émut fortement tous les spectateurs.

La prière terminée, les deux personnages, marchant vers le divan, s’assirent en silence. Le pacha prit la parole.

— Croyez-vous, mon père, que les lieux où résonne le bâton argenté du kawas, où le lieutenant du grand-seigneur s’asseoit au milieu des aians de la province, ne soit pas digne de votre sainte présence ? Croyez-vous que vos paroles ne peuvent porter