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LE CAPIDJI-BACHI.

c’était beaucoup pour la sécurité, si c’était peu pour une sûreté réelle. On n’en obtenait pas quelquefois une heure de répit des kawas du visir ; mais les jours que l’on devait vivre, on les vivait dans une insouciante tranquillité, parce que l’on ne se sentait pas seul.

Il n’est si petite ville de l’empire qui n’ait son téké de derviches. Le peuple se plaît aux cérémonies mystiques qu’ils célèbrent : c’est une musique d’une inspiration toute religieuse, c’est une espèce de danse grave et solennelle, dont les mouvemens rapides et circulaires jettent l’adepte dans une inspiration divine. Au reste on assure que ces rites sont destinés à occuper les regards du peuple, pour qu’il ne les porte pas sur les dogmes et la conduite des derviches, qui, dit-on, n’ont d’autre croyance que celle d’un déisme pur.

Hadji-Jousef-Effendi se présenta au chef des derviches avec une lettre symbolique. Quelques lignes mystérieuses y étaient tracées, et un instant après tous les derviches venaient respectueusement baiser la robe du scheik.

Hadji-Jousef n’était autre que Mustapha-Bey, le capidji-bachi. La Porte, habile à cacher ses secrets, sait pénétrer ceux des autres. Il n’est pas de secte mystérieuse, d’association cachée, où elle ne domine invisible. Mustapha, chargé de l’exécution d’un ordre fatal, avait, pour déguiser sa mission, adopté l’extérieur révéré d’un scheik : aussi le grand-visir lui avait remis une lettre du mollah de Coniah, telle que le personnage le plus saint de l’islamisme aurait pu seul en obtenir.

Un mois s’était écoulé, et la réputation du scheik prétendu occupait toute la ville. Il attendait avec patience l’heure de la vengeance, sans songer à la hâter par une précipitation passionnée. Un jour qu’étendu sur le divan du kiosk situé au milieu du jardin du téké, il rêvait au moment solennel qui s’approchait, un bruit de chevaux et de voix d’hommes vint troubler le silence habituel de ces paisibles lieux, et le tirer de la rêverie où il était plongé.

C’était le kiahia du pacha qui lui rendait visite, pour l’inviter, de la part de son maître, à venir le voir au seraï.