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LE CAPIDJI-BACHI.

cherchaient un pacha qui les attachât à son destin, des pèlerins qui allaient prier au tombeau du Christ, ou bien baiser la pierre noire de la Cabaah, des marchands aventureux, aux spéculations vagabondes ; c’étaient des juifs, des Turcs, des chrétiens. Tous les cultes y étaient représentés, le christianisme et ses sectes variées, l’islamisme et son inexorable unité, le judaïsme qui imprime comme un stygmate sur le front de ses adeptes. Sans discordes, sans passions tumultueuses, tous semblaient avoir oublié un instant le fanatisme de leurs croyances, de leurs castes, de leurs professions, pour en faire le sacrifice à la sûreté commune.

Un personnage était entouré de la vénération générale ; rien cependant n’annonçait chez lui le pouvoir si redouté en Orient. Il était sans esclave, sans domestique ; mais, au besoin pas un membre de la caravane qui ne se fût empressé de le servir. Il montait un rawan blanc. Son enteri était en étoffe rayée de Damas ; son benich était en drap rouge ; une pelisse bleu de ciel le couvrait entièrement ; sa tête, qui révélait une profonde austérité et une préoccupation fixe et immuable, était couverte d’un turban, dont les plis égaux et droits annonçaient un homme de la loi : c’était un scheik.

Si, dans une ville turque, vous voyez un homme sans suite, sans kawas, que les vrais croyans saluent profondément, en portant la main à terre, puis à la bouche, puis au front, que les femmes osent contempler avec des regards d’admiration et de respect, que le pacha reçoit comme son égal, en le faisant asseoir auprès de lui et en lui donnant sa propre pipe, vous pouvez dire hardiment : « Cet homme est un scheik ; » car, dans une ville turque, un scheik tient dans sa main toutes les volontés, agit sur toutes les imaginations : c’est plus qu’un moine espagnol. Sa parole est celle d’un prophète inspiré ; son pouvoir tient du miracle. Il fait pâlir le despotisme turc et sait calmer, quand il le veut, les insurrections d’Orient.

Aussi, à chaque station, c’était à qui étendrait le tapis de Hadji-Jousef-Effendi, préparerait son repas, allumerait sa pipe, afin d’obtenir un mot, un regard de bienveillance ; et lui, re-