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LE CAPIDJI-BACHI.

cette époque est celle où ses ennemis commencent à se réjouir.

Quinze ans s’étaient écoulés : Mustapha vivait toujours à Constantinople, simple capidji-bachi. Il ignorait l’élévation d’Ahmed : il l’aurait peut-être oublié, si sa haine ne le lui avait rappelé. Un jour il vit un homme qui venait d’Alep : il l’écouta avec indifférence raconter les hauts faits d’Ahmed-Pacha, gouverneur de cette sainte ville. Mais quel ne fut pas son trouble, lorsque cet homme ajouta mystérieusement qu’on soupçonnait que ce pacha était un ancien itch-oglan, fugitif du seraï, celui qu’on avait toujours cherché en vain ! Mustapha rentra brusquement chez lui, appela Suleïman, son homme de confiance, et lui ordonna de se préparer aussitôt pour aller à Alep. « Un pacha y gouverne, ajouta-t-il : on dit que c’est Ahmed, mon ennemi ; tu verras si c’est vrai, et reviens me le dire. »

Puis, quand il fut seul : « Le fils du berber-bachi visir ! cet Ahmed dont la gloire et le nom me fatiguaient déjà sans le connaître ! C’était comme un pressentiment ; et moi, obscur capidji ! ah ! non, le destin ne peut me persécuter ainsi. S’il s’est refusé à réaliser mes rêves d’ambition, il ne viendra pas au moins me faire sentir tout mon néant, en faisant briller à mes regards la splendeur de mon ennemi »

Suleïman revint deux mois après d’Alep. Il avait vu le pacha : c’était en effet le fils du berber-bachi. « C’était écrit là-haut, dit alors froidement Mustapha ; mais Dieu est grand, » c’est-à-dire qu’il comptait sur la grandeur de Dieu pour se venger du triomphe de son ennemi. Il avait songé que plus son sort était devenu éclatant, plus sa vengeance serait éclatante. Cette idée l’avait consolé de l’élévation d’Ahmed : elle contenait toute sa résignation.

Mustapha fut long-temps à étudier les dispositions de la Porte envers son ennemi. Il connaissait trop bien les doctrines qui s’y observent, pour chercher à être le premier à faire naître contre lui des soupçons. La Porte n’accepte que ceux qu’elle conçoit elle-même. Ceux qu’on cherche à lui inspirer retombent sur le délateur. Ce fut un cruel supplice pour lui ; car long-temps Ahmed-Pacha conserva un grand crédit près du divan.