Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/718

Cette page a été validée par deux contributeurs.
718
REVUE DES DEUX MONDES.

qui le tourmentaient, la Porte ne confie pas à de jeunes mains l’exécution de ses sanglantes volontés. Lorsqu’il lui faut un assassin pour se débarrasser d’un visir incommode, elle va choisir parmi ces vieux courtisans dont le sein sait cacher un firman de mort sans en frémir, dont la main est habile à choisir l’instant favorable, et frapper un seul coup, mais mortel. Oh ! oui, il faut avoir beaucoup vécu pour une pareille mission. Non, mon enfant, dit-il en voyant qu’Ahmed se troublait, non, je n’ai plus aucune défiance, je ne veux plus en avoir. Je saurais que tes vêtemens cachent le fatal écrit, que le grand-visir t’a donné ses secrètes instructions avec le poison qui doit finir mes jours, je ne pourrais résister au penchant qui m’entraîne vers toi.

Une émotion profonde fut la seule réponse d’Ahmed.

— Oh ! oui, enfant, tu as une âme noble, reprit le pacha, comme pour chercher des idées qui souriaient également à l’imagination du vieillard et aux illusions du jeune aventurier, l’air du seraï, cette atmosphère d’eunuques, n’a pas flétri ton cœur. Le nom du vieux janissaire a retenti à tes oreilles. La gloire n’est donc pas une chimère, puisqu’elle fait entendre aussi sa voix dans l’enceinte redoutée, au-delà de la Porte impériale ; car c’est là qu’a germé dans ton cœur le désir d’apprendre le glorieux métier sous le vieux Hussein. Grâces à Dieu, tu es venu dans un bon moment. Ces têtes rouges de Persans paraissent enfin vouloir accepter le combat ; demain, si Dieu le veut, tu combattras à mes côtés.

Cette réception avait décidé de la fortune d’Ahmed. Il est vrai qu’il combattit avec courage, qu’il prit Bassora aux Persans ; mais tous ces succès étaient dans sa réception, ou plutôt ne les eût-il pas obtenus, l’amitié du pacha seule eût été un sûr garant de son élévation. En effet la Porte le nomma bientôt émir des émirs ou pacha à deux queues, sans savoir qui elle élevait à cette dignité. Que lui importait en effet ? Hussein-Pacha l’avait demandé. Il est des momens pour un visir où rien ne lui est refusé. La Porte n’est là en quelque sorte que pour sanctionner ses volontés. Les plus nobles faveurs vont chercher jusqu’à ses moindres esclaves ; cependant j’ai entendu dire que