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prétend à une existence, à une gloire personnelles, et où la poésie cesse d’être une espèce de trésor commun, dont le peuple jouit et dispose à sa manière, sans s’inquiéter des individus qui le lui ont fait.

Le roman carlovingien de Guillaume-au-Court-Nez nous avait déjà offert un premier exemple de ce mode de composition, ou, pour mieux dire, de surcomposition épique. Les grands romans en prose du graal en sont d’autres exemples bien mieux caractérisés, et ces divers exemples ne sont pas les seuls qu’offre l’histoire générale de l’épopée. D’après ce que j’ai dit ailleurs du Shah-Namèh de Ferdousi, il est manifeste que cet immense poème peut être regardé de même comme l’amalgame ou le rapprochement dans un ordre chronologique de diverses autres narrations, dont plusieurs furent primitivement des épopées à part. — Les extraits du Mahabharat porteraient à penser que quelques-unes des parties épisodiques de cette épopée gigantesque furent de même d’assez grandes épopées, d’abord isolées.

Je n’insiste pas davantage sur ces aperçus, je les propose et les donne à vérifier aux jeunes littérateurs, qui porteront dans l’étude des monumens épiques du moyen âge des vues élevées et philosophiques, et auxquels il sera donné de mettre en évidence, dans ces curieuses productions, les côtés par lesquels elles peuvent plaire encore, ou fournir des données nouvelles à l’histoire de la poésie.

Maintenant, messieurs, si je rapproche les diverses considérations générales que je viens de vous soumettre sur les romans du cycle breton, de celles que je vous ai déjà soumises sur ceux du cycle carlovingien, il est facile de s’assurer que la distinction à faire entre les uns et les autres n’est pas une distinction purement nominale, accidentelle et superficielle, mais une distinction réelle, profonde et constante, tant pour le fond et le sujet que pour les formes.

Les romans des deux cycles sont également l’expression des mœurs et des idées de la chevalerie, mais de la chevalerie prise à deux diverses périodes de sa durée. Les romans carlovingiens représentent la chevalerie encore dans sa nouveauté, encore