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ROMANS DE LA TABLE RONDE.

habitude du poète d’intervenir par ses réflexions, ou par le tableau de ses émotions personnelles, dans les actes de ses personnages ; cette tendance irrésistible à développer et à raffiner outre mesure les sentimens de l’amour chevaleresque, à adopter servilement, dans la narration épique, les expressions les plus prétentieuses des chants d’amour, ces expressions qui ne pouvaient avoir de grâce ou d’excuse que comme un effort du poète, pour rendre ses propres sentimens, des sentimens dont il était plein, et qu’il avait intérêt à exprimer avec énergie. Je ne me rappelle plus quel troubadour, parlant des larmes que l’amour fait verser, s’avisa de les appeler l’eau du cœur. Les romanciers de la Table ronde trouvèrent cela si beau, qu’ils ne manquèrent pas de s’en emparer. J’ai vu cette expression dans un des grands romans en prose, je crois dans celui de Lancelot.

Je ne veux pas dire que ces raffinemens lyriques du style épique des romans de la Table ronde n’eussent pas, en certains cas, de la grâce et de l’agrément. Je les note ici plus en historien qu’en critique, et les note surtout pour en marquer l’opposition avec le ton ordinaire des romans carlovingiens, pour indiquer comme un phénomène assez frappant la rapidité avec laquelle le goût poétique avait passé d’une rudesse extrême aux prétentions d’une époque de mollesse et de recherche.

Ce sont là les observations les plus générales que j’aie trouvées à faire sur la forme, le caractère et l’esprit des romans d’Arthur. Il me reste maintenant à dire quelques mots des cycles particuliers que plusieurs de ces romans semblent former dans le cycle général, qui les comprend tous.

D’après une distinction que j’ai déjà établie, ce cycle général se subdivise d’abord en deux, l’un comprenant tous les romans où l’histoire du saint graal entre pour quelque chose, l’autre tous ceux où, quel qu’en soit d’ailleurs l’argument, il n’est pas question de cette histoire. Du reste, comme il n’y a aucun doute qu’il ne nous manque aujourd’hui une multitude d’ouvrages de l’un et de l’autre de ces cycles particuliers, il ne faut pas s’attendre à y trouver une suite bien établie d’événe-