Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/696

Cette page a été validée par deux contributeurs.
696
REVUE DES DEUX MONDES.

et quand ils le font, c’est avec une gaucherie ou avec une témérité qui suffirait à elle seule pour provoquer l’incrédulité des plus naïfs. J’ai vu un roman dont l’auteur prétend avoir appris tout ce qu’il raconte de la bouche d’un chevalier de la cour d’Arthur, et je crois même un peu son parent.

Mais ce que je puis citer de plus hardi et de plus curieux en ce genre, c’est le prologue du grand roman du Graal en prose. Ce prologue est lui-même tout un roman, et un roman d’une certaine longueur, dans lequel l’auteur, parlant en son nom, sans toutefois se nommer, raconte par le menu comment ce livre, contenant l’histoire du graal, lui a été apporté tout fait du ciel par Jésus-Christ en personne. Et la chose n’est point rapportée sous forme de vision, de songe : c’est un événement réel, palpable, qu’il raconte et prétend avoir vu bien éveillé, et en pleine jouissance de ses sens et de sa raison. La fiction, d’ailleurs assez curieuse, est l’inspiration d’une imagination religieuse assez vive. Elle a même assez de rapport avec le début de l’Enfer du Dante, pour que l’on se demande si elle n’aurait pas été connue du poète florentin. Elle est trop longue pour que je puisse vous la faire connaître ; mais je cède à la tentation de vous en moderniser quelque peu un passage qui suffira pour vous donner une idée de l’exaltation mystique qui y règne d’un bout à l’autre. L’auteur raconte comment Jésus-Christ, lui étant apparu dans son sommeil, se nomme et se révèle à lui.

« Après cela, il me prit par la main, dit-il, et me donna un livre qui n’était pas plus grand, en tout sens, que la paume d’un homme. Quand il me l’eut donné, il me dit qu’il m’avait donné dedans si grande et si merveilleuse chose, que nul cœur mortel n’en pouvait connaître ni penser de plus grande. Il n’y aura plus en toi de doute dont tu ne sois éclairci par ce livre : il renferme des secrets que nul homme ne doit voir, s’il n’est auparavant purgé par vraie confession ; car je l’ai moi-même écrit de ma main ; et la manière dont il doit être lu et dit, c’est comme par langue de cœur, sans aide de bouche ni de parole. Et si ne pourrait-il en langue mortelle être expliqué, sans que les quatre élémens en fussent bouleversés.