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ROMANS DE LA TABLE RONDE.

tenté de le croire inventé exprès pour eux. Mais ce n’est guère que par une espèce de tour de force que le poète peut donner à un long récit, dans cette sorte de vers, un peu de vigueur et de dignité. On est donc en droit d’attribuer l’emploi exclusif d’un tel mètre dans toute une famille de romans destinés aux classes les plus cultivées de la société, à une corruption prématurée du goût et du sentiment épiques. C’est un soupçon à l’appui duquel les observations ne manqueront pas.

Les débuts ou prologues des romans de la Table ronde sont curieux à rapprocher de ceux des romans carlovingiens : ils en diffèrent autant que possible. Rien de plus simple, de plus populaire, de plus épique que la formule initiale de ces derniers. C’est, comme nous l’avons vu, une sorte d’appel du rapsode au public, pour l’attirer autour de lui, en lui promettant la plus belle et la plus véridique histoire du monde. Rien de pareil dans les romans de la Table ronde. Le début de la plupart est tout lyrique : c’est une plus ou moins longue effusion des réflexions et des sentimens du romancier sur quelques lieux communs de morale chevaleresque, assez ordinairement sur la décadence de la chevalerie, et de toutes les belles choses que l’on suppose avoir existé dans les temps anciens.

Cette intervention directe et personnelle du poète dans ses récits annonce déjà, en lui, une sorte d’empressement vaniteux à s’en donner pour l’auteur. Les romanciers carlovingiens, dont la première prétention est de faire croire qu’ils ne chantent rien de leur invention ; qu’ils ne sont, en tout ce qu’ils disent, que les traducteurs populaires de chroniques et d’histoires précieuses, composées en latin, ne manquent jamais d’alléguer ces chroniques et ces histoires. Si belles qu’ils trouvent, sans doute, leurs fictions, ils se gardent bien de s’en avouer les auteurs : ce serait aller contre leur but. Toute manifestation de vanité littéraire de leur part serait une maladresse.

Il en est tout autrement avec les romanciers de la Table ronde ; ils ont l’air de compter assez sur le charme de leurs récits pour se dispenser de les donner pour historiques. Il est rare qu’ils allèguent des autorités, des témoignages en leur faveur ;