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Maintenant je fais une autre supposition également favorable à l’opinion accréditée que j’examine : je suppose les copies de cette version et de son texte latin, dès 1150, assez nombreuses et assez répandues pour que les romanciers eussent aisément la chance d’y recourir : hypothèse non-seulement invraisemblable, mais contraire à des faits certains. Ainsi donc, admettre la chronique bretonne de Geoffroi et la version galloise de cette chronique pour la source primitive des romans de la Table ronde, c’est supposer que nul de ces romans ne fut antérieur à 1138, et que les plus anciens durent être composés dans une très courte période de temps, comme qui dirait de 1140 à 1150.

Or, j’ai la conviction, et j’espère prouver ailleurs que, vers 1150, quelques-uns des plus célèbres romans de la Table ronde étaient déjà très répandus, très populaires, et par conséquent déjà dès-lors d’une certaine ancienneté. Dans un roman carlovingien qui est certainement l’un des plus anciens, l’un de ceux dont on peut, avec toute vraisemblance, mettre la composition dans la première moitié du douzième siècle ; dans ce roman, dis-je, il est fait allusion à un roman ayant pour sujet une expédition du roi Arthur.

Mais la preuve la plus forte et la plus directe que, bien antérieurement aux chroniques citées, les traditions bretonnes relatives au roi Arthur avaient déjà été le sujet de beaucoup de fictions, et de fictions du type chevaleresque, c’est la manière dont ces mêmes chroniques parlent de ce même roi. Elles n’en parlent pas longuement ; mais tout ce qu’elles en disent, ou en indiquent, est fable et merveille. Ce n’est plus le petit chef des Bretons Siluriens, soutenant contre les Saxons une guerre dont les chances ne sont pas pour lui, usurpant les priviléges des bardes ; c’est un guerrier invincible, c’est le héros des héros, qui, à douze ans, a déjà conquis l’Irlande, l’Islande et la Suède, qui, un peu plus tard, conquiert l’une après l’autre toutes les parties de la Gaule. C’est le roi que tous les autres prennent pour modèle ; c’est le chef des chevaliers, et le miroir de la chevalerie. En un mot, c’est sinon précisément l’Arthur des ro-