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nir, il me dira encore qu’il s’est passé dix ans depuis qu’il m’a parlé. À ce compte-là, nous aurons cinq ou six mille ans avant de revenir dans notre pays ; car je m’aperçois que nous ne courons pas avec le temps, c’est lui qui court tout seul et nous laisse immobiles. Ce n’est pas seulement le temps qui nous échappe : c’est la terre qui fuit sous nos pieds. Souvent, quand je bourre ma pipe, nous sommes en Orient : elle n’est pas fumée, que nous sommes en Occident ! »

Revenu enfin à Ithaque, Ulysse s’habille magnifiquement pour en imposer à ses ennemis et s’endort : il est réveillé par deux fripiers juifs, qui viennent lui prendre le costume de théâtre qu’ils lui ont prêté pour son rôle, et en réclamer le paiement. Ce soudain passage de la fiction à la réalité réveille aussi le spectateur, qui sort comme d’un rêve de ce monde fantastique où l’a promené l’imagination d’Holberg, et d’où elle le précipite brusquement par un dernier caprice.

Après trois années de travaux et de succès continus, Holberg, qui sentait ses forces épuisées, partit pour les eaux d’Aix-la-Chapelle, et de là vint de nouveau à Paris. Cette fois, ses affaires en meilleur état lui permettaient de fréquenter les beaux-esprits du café Marion, dont Lamothe présidait les réunions, et de visiter quelques savans, tels que Montfaucon, le père Hardouin, le père Tournemine, avec lesquels il aimait à discuter des points d’antiquités ou de théologie ; Fontenelle enfin, qui, probablement par politesse plutôt qu’avec connaissance de cause, lui témoigna, dit-il, un grand respect pour les mérites des Danois dans les sciences.

Le Paris qui s’offrait à Holberg (1726) était bien différent de celui qu’il avait vu dix ans auparavant, il ne retrouvait plus cette ardeur de prosélytisme dont, plus jeune, il avait été souvent l’objet. Les catholiques lui semblaient plus occupés à se quereller entre eux, à propos de la bulle et des articles qu’à convertir les hérétiques.

Il avait fait, depuis son premier séjour à Paris, de notables progrès dans la langue française, puisqu’il fut en état de tra-