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UN SOUVENIR DU BRÉSIL.

les conquérir. La puissance de l’homme y lutte contre la puissance de la nature, et sa vie est un combat. Une végétation indomptable cherche sans cesse à étouffer dans ses bras sauvages les végétaux que ses mains ont plantés. De même que les animaux qu’il a réduits en domesticité, s’il les abandonne un instant sans défense, ils périssent sous les étreintes des enfans primitifs du sol qu’ils ont dépossédés. Aussi, ce que vous appelez l’ordre est souvent inconnu dans les plantations du Brésil. Près des champs de cafeyers dont les rangs alignés s’élèvent jusqu’au sommet des coteaux escarpés, vous voyez un espace noirci couvert d’arbres à demi consumés, entassés au hasard. À côté d’un champ de maïs rempli de troncs en décomposition règne un taillis impénétrable d’arbustes, de lianes entremêlées d’herbes coupantes qui en défendent l’accès. Des graminées colossales rivalisent de hauteur avec les bananiers. Partout les traces du feu sur la lisière des bois, le chaos et l’impuissance de l’homme.

Chaque matin, au lever du soleil, une voix bien connue appelle les esclaves au travail ; ils répondent à l’appel que fait le régisseur : l’un d’eux prononce une prière que les autres répètent après lui, puis ils se rendent là où les travaux du moment exigent leur présence. Le soir aux approches de la nuit, ils paraissent de nouveau : un second appel, suivi de la prière, a lieu comme le matin ; ils défilent tous en demandant sa bénédiction à leur maître : c’est alors que le fouet se fait entendre.

Les nègres bozals (on appelle ainsi ceux qui arrivent de la côte) ne sont pas soumis immédiatement au régime de l’habitation : on les laisse reposer pendant quelques jours avant de les envoyer au travail. Or, Joâo Manoel se conforma à cet usage en planteur qui entend son affaire et en bon chrétien. Il était d’ailleurs bien aise de voir si Coutinho avait fait usage de ces drogues qu’il avait en horreur. Tout alla bien.

Un soir, après la prière, il fit mettre sur un rang les jeunes négresses qu’il avait amenées. « Approche, Cupidon, cria-t-il, tu choisiras le premier, il y a assez long-temps que tu me tourmentes pour avoir une femme. »

Un jeune nègre sortit du milieu de ses compagnons. Dieu