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de couleur et d’un chapeau de paille ; il salua son patron d’un air humble, et lui rendit compte des travaux exécutés pendant son absence, ainsi que de la conduite des esclaves. Croyez que les coups de fouet jouaient un grand rôle dans ce récit, et que plus d’un nègre, là présent, portait sur sa peau les marques de la colère du redoutable régisseur.

— C’est bien, lui dit Manoel quand il eut fini : seulement, senhor Loureiro, vous me paraissez un peu trop libéral de punitions ; nous sommes d’accord sur le salutaire effet du fouet, mais nous différons sur la quantité des coups : ne pourrions-nous penser sur ce point comme sur les autres ?

— Senhor, répondit le feitor, pour vous plaire, j’ai déjà diminué de moitié ceux que j’avais coutume de donner avant d’entrer à votre service : je ne puis faire davantage, j’y perdrais ma réputation. Que vous importe que j’oublie quelquefois de compter les coups, pourvu que vos nègres se portent bien ? laissez-moi faire à ma manière.

— Comme vous voudrez, Loureiro, répliqua Manoel d’un air indifférent ; je ne vous parle de cela qu’en passant. Tenez, prenez soin de ceux que je vous amène : mettez-les dans une case à part jusqu’à nouvel ordre. Celle-ci est pour le service de la maison : laissez-la de côté.

Le feitor exécuta les ordres qu’il venait de recevoir : il mit les nouveau-venus dans une case abandonnée. Les autres nègres qui étaient là se retirèrent après avoir salué leur maître, et l’habitation offrit cet aspect paisible que le soir amène avec lui sous les tropiques, quand le travail a cessé, et que les esclaves se délassent en liberté de la fatigue du jour.

Le lendemain, je la parcourus avec le planteur. Les travaux de l’homme n’ont pas dans les forêts du Nouveau-Monde cet aspect monotone de nos champs de la vieille Europe. Une main avare n’y a pas, le compas à la main, partagé la terre en compartimens étroits, réguliers, sillonnés comme les plates-bandes d’un jardin. Des haies, des grilles, des murs ne vous repoussent pas à chaque pas comme un fils déshérité de la nature et rejeté du partage de ses bienfaits. Là, les forêts sont le patrimoine de qui veut