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par ménagement, sans doute, pour les différentes castes. Un profond silence régnait dans l’église, mais au moment où le prédicateur peignit l’arrivée de Jésus au Calvaire, on entendit le bruit du marteau et l’on vit attacher notre Sauveur sur la croix. Lorsqu’arriva le moment du récit de sa sépulture, deux prêtres montèrent sur la croix au moyen d’une échelle et déclouèrent les mains du mannequin, pendant que deux autres détachaient les pieds et soutenaient le corps ; tous quatre le descendirent lentement et le montrèrent en le présentant par-devant à l’assemblée, qui se mit à sangloter ; ils le retournèrent, et aux sanglots se joignit le bruit des soufflets que les femmes se donnèrent à qui mieux mieux. Cette double exposition terminée, le corps fut déposé dans un cercueil d’argent qui fut placé sur un brancard, et la procession se mit en marche dans le plus grand ordre.

En tête marchaient près de mille almas santas dont quelques-unes avaient des bonnets si élevés, qu’ils atteignaient les fenêtres du premier étage des maisons et s’y accrochaient de temps à autre. De cette étrange coiffure partaient des rubans de différentes couleurs qui retombaient sur les épaules des almas santas. La robe de quelques-unes se terminait par une longue queue que portait un ange. Sur un brancard qui venait immédiatement après était un autre ange au pied duquel on voyait un hideux squelette représentant la mort vaincue par le Sauveur. Une file de prêtres suivaient, revêtus d’habits sacerdotaux et portant les divers emblèmes de la passion. Le premier tenait gravement à hauteur de son menton un large couteau à la pointe duquel était collée une oreille figurant celle de Malchus, coupée par saint Pierre ; un coq au bout d’un bâton arrivait ensuite, puis les trente deniers de Judas peints sur un étendard en bois, les dés dans un plat d’argent, dans d’autres les clous, le marteau et les tenailles ; on voyait également les verges qui avaient servi à la flagellation, le roseau, et la lance qui avait percé le flanc du Sauveur, et enfin sa tunique portée au bout d’un long bâton en guise de bannière. Ce groupe singulier était suivi d’un cortège de musiciens vêtus d’un costume violet et masqués, avec leurs instrumens couverts de crêpes en signe de deuil, et jouant des airs lugubres appropriés à la circonstance. Après eux venait notre Sauveur, portant sa croix et accompagné comme précédemment par don Simon el Cyreneo ; puis le premier alcade de la ville en costume noir complet, avec chapeau à plumes, et portant sur son dos une bannière noire (sur laquelle était peinte une croix rouge), renversée et traînant à terre. Une foule de nègres marchaient à sa suite vêtus uniformément d’un habit bleu de roi, à collet et paremens jonquille, de pantalons bleu de ciel avec un galon jaune et une écharpe de la même couleur. Tous étaient censés faire partie de sa maison. Deux longues files de moines, dont chacun tenait à la main un crucifix, paraissaient à leur suite, et précédaient les écoliers des deux collèges dont j’ai parlé, vêtus de leur uniforme. Ceux-ci étaient suivis du second alcade de