Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/629

Cette page a été validée par deux contributeurs.
629
VOYAGE DANS LA COLOMBIE.

taient jusqu’à terre. Une jupe blanche, retenue par une ceinture et tombant jusqu’aux talons, couvrait le reste du corps. Toutes portaient à la main une sonnette qu’elles agitaient tour-à-tour. On appelle ces figures almas santas, âmes saintes, je ne sais par quelle raison.

Le lendemain, dimanche, je me rendis à la cathédrale pour assister à la bénédiction des rameaux. L’église était pleine de gens portant au bout de longs bâtons d’énormes paquets de verdure, consistant en branches de palmier, tronçons de roseaux ou bananiers. Les feuilles de ces derniers étaient quelquefois tressées d’une manière très ingénieuse. La cérémonie se faisant trop attendre, je sortis et me dirigeai du côté de San Francisco, où rentrait en ce moment la procession des religieux de cet ordre, chantant et portant chacun à la main une palme. Ils précédaient un christ que je crus d’abord porté à bras ; mais les mouvemens singuliers que je lui voyais faire m’engagèrent à l’examiner de près, dans un moment où la procession était arrêtée sous les arcades du couvent. Je découvris alors, non sans surprise, que le porteur du mannequin était un âne, qui, embarrassé de son fardeau, l’eût infailliblement jeté à terre, si deux hommes placés de chaque côté n’eussent été sans cesse occupés à le maintenir en équilibre, de crainte d’accident. L’envie de rire qui me prit à cette vue, et que je parvins à grand’peine à comprimer, gagna le père provincial, qui jeta les yeux de mon côté par hasard, et qui, pour ne pas en faire autant, fut obligé de baisser promptement la tête et de se cacher la figure avec son bréviaire.

Un spectacle encore plus étrange s’offrit à moi dans l’église de Santa-Clara, dépendante d’un couvent de religieuses cloîtrées, où j’entrai dans le courant de la journée. J’aperçus, à travers les grilles, toutes les religieuses entourant un âne, et empressées autour de lui, puis se mettant à genoux, et prononçant des prières, quoiqu’on ne célébrât dans ce moment aucune cérémonie dans l’église. Je ne pus m’expliquer ce que je voyais qu’en supposant l’animal destiné à figurer dans quelque procession du genre de celles que je venais de voir.

Une seconde procession, plus considérable que la première, sortit le soir de San Francisco, et passa sous mes fenêtres, d’où je pus l’examiner sans en perdre aucun détail. En tête marchait d’abord un certain nombre d’hommes portant au bout de longs bâtons, des lanternes, dont deux, précédant les autres, avaient la forme d’étoiles ; venaient ensuite deux mannequins représentant, à ce qu’on me dit, l’un saint Jean l’Évangéliste, l’autre sainte Madeleine, puis trois almas santas pareilles à celles que j’ai décrites, excepté que celle du milieu dominait ses compagnes de toute la tête, et portait une longue queue blanche, soutenue par un enfant habillé en ange, et muni de deux grandes ailes. Ces trois figures agitaient tour-à-tour leurs sonnettes, de manière à ce que le bruit fût continu. Une quantité de femmes, parmi lesquelles j’en reconnus plusieurs de la haute société, les suivaient