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HISTOIRE DU TAMBOUR LEGRAND.

noblement réguliers comme ceux des figures antiques, et dans ces traits on lisait : « Tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. » Un sourire qui donnait le calme voltigeait sur ses lèvres, et cependant on savait que ces lèvres n’avaient qu’à siffler, et la prusse n’existait plus. Elles n’avaient qu’à siffler ces lèvres, et c’en était fait de tout le saint empire romain. C’était un œil clair comme le ciel, il pouvait lire dans le cœur des hommes, il voyait rapidement, d’un regard, toutes les choses de ce monde, tandis que nous, nous ne les voyons que l’une après l’autre, et que souvent nous n’en apercevons que les ombres et les couleurs. Le front n’était pas aussi serein : là se jouait le génie des batailles ; là se rassemblaient ces pensées aux bottes de sept lieues, à l’aide desquelles l’empereur traversait invisiblement le monde, et je crois que chacune de ses pensées eût fourni à un écrivain allemand de l’étoffe pour écrire sa vie durante.

L’empereur chevauchait paisiblement au milieu de l’allée. Aucun officier de police ne lui disputait le passage. Derrière lui, montée sur des chevaux écumans, chargée d’or et de plumes, galopait sa suite ; les tambours retentissaient, les trompettes sonnaient, et le peuple criait de ses mille voix : Vive l’empereur !


L’empereur est mort ! Sur une île abandonnée de la mer des Indes est sa tombe solitaire, et lui pour qui la terre était trop étroite, il repose tranquillement sous un petit monticule, où cinq saules pleureurs laissent pendre avec désespoir leur longue chevelure verte, où un petit ruisseau s’écoule en laissant échapper un plaintif murmure. On ne voit pas d’inscription sur sa pierre funèbre ; mais Clio y a gravé en caractères invisibles des paroles qui retentiront comme la voix des esprits, dans les siècles.

Grande-Bretagne ! à toi appartient la mer ; mais la mer n’a pas assez d’eau pour laver la honte que cet illustre défunt t’a léguée en mourant. Ce n’est pas ton sir Hudson ; c’est toi qui fus le sbire sicilien que les rois conjurés apostèrent pour venger secrètement sur cet homme venu du peuple ce que les peuples avaient exercé publiquement à l’égard d’un des leurs. — Et il était ton hôte, et il s’était assis à ton foyer !

Jusque dans les siècles les plus reculés, les enfans chanteront