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j’entendais tout. — Je vis ainsi la marche à travers le Simplon. — L’empereur en avant, et derrière ses braves grenadiers qui grimpent, tandis que les oiseaux de proie effrayés s’envolent avec un croassement, et que les glaciers résonnent dans l’éloignement. — Je vis l’empereur, le drapeau à la main, sur le pont de Lodi. — Je vis l’empereur en manteau gris, à Marengo. Je vis l’empereur à cheval, à la bataille des Pyramides ; rien que fumée de poudre, que mamelucks ! — Je vis l’empereur à la bataille d’Austerlitz. Oh ! comme les balles sifflaient sur la plaine glacée. — Je vis, j’entendis la bataille d’Iéna : Bum ! Bum ! Bum ! — Je vis, et j’entendis les batailles d’Eylau, de Wagram… Non, je ne pus le soutenir ! monsieur Legrand tambourinait de manière à me déchirer mon propre tympan.


Mais que devins-je, lorsque je le vis lui-même, de mes propres yeux, lui en personne, hosannah ! l’empereur ?

Il venait d’entrer dans l’allée du jardin de la cour à Dusseldorf. En me pressant à travers la foule ébahie, je songeais aux faits et aux batailles que monsieur Legrand m’avait tant tambourinés, mon cœur battait la générale, et en même temps, je pensais à l’ordonnance de police qui défend de passer à cheval dans les allées, sous peine de 5 thalers d’amende. Et l’empereur avec sa suite chevauchait au beau milieu de l’allée, les arbres interdits se courbaient en avant ; à mesure qu’il avançait, les rayons du soleil dardaient en tremblotant et d’un air de curiosité à travers le vert feuillage ; et sur le ciel bleu, on voyait distinctement étinceler une étoile d’or. L’empereur portait son simple uniforme vert, et le petit chapeau historique. Il montait un petit cheval blanc, et le cheval marchait si fier, si paisible, si sûrement, d’une manière si distinguée ! — Si j’avais été alors le prince royal de Prusse, j’aurais envié le sort de ce petit cheval. L’empereur se penchait négligemment sur sa selle, presque abandonné ; d’une main il tenait sa bride élevée, de l’autre il frappait amicalement le cou du petit cheval. — C’était une main de marbre qui éclatait au soleil, une main puissante, une de ces deux mains qui avaient dompté l’anarchie, le monstre aux mille têtes, et réglé la grande lutte des peuples ; — et elle frappait bonnement le cou de ce cheval. Sa figure avait aussi cette couleur que nous trouvons dans les têtes de marbre des statues grecques et romaines ; les traits étaient