Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/585

Cette page a été validée par deux contributeurs.
581
POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

Mais aussi prenez garde ! n’essayez pas d’aller plus loin que l’ouvrier, maintenant que le métal sort du feu, solide, éclatant et sonore ; un degré de plus, et tout va se briser et se résoudra en ruines.

Ni trop, ni trop peu, telle est la devise constante d’Augustin Thierry et de Prosper Mérimée. Ils se défient de la poésie et ne peuvent lui échapper. Quand une image leur vient en tête, ils ne s’y laissent pas séduire sans se consulter long-temps. Avant de se passionner pour elle, ils se recueillent et s’éprouvent, et ne s’aventurent qu’à bon escient ; et il arrive à cet amour ce qui arrive à tous les amours sérieux et réfléchis : l’éloquence pour lui n’est pas un art, un accident, c’est une nécessité, fatum.

Cette méthode, comme on voit, n’est pas sans analogie avec celle de Tacite et de Montesquieu. Elle répugne, comme les Annales et l’Esprit des Lois, aux développemens.

Pour vérifier ces remarques, je choisirai les Espagnols en Danemark et Inès Mendo, puisque ces deux comédies sont les pièces les plus importantes et les plus longues du recueil.

Sans nul doute, madame de Tourville et sa fille, don Juan et le Résident sont tracés de main de maître, et nous demeurent en mémoire comme si nous les avions connus familièrement. Les politesses prétentieuses et grotesques de Pacaray, ses soupçons et ses frayeurs ; l’entrevue de don Juan et de mademoiselle de Coulanges, la scène du naufrage, l’évanouissement de cette malheureuse femme, honteuse de sa trahison et fière de son amour ; le dénoûment militaire de cette rapide comédie, en voilà plus qu’il n’en faut pour constater le mérite de cette composition.

Mais l’auteur a-t-il assez ménagé les transitions ? n’a-t-il pas procédé à la manière des algébristes ? En négligeant, comme il l’a fait, toutes les idées intermédiaires qui pouvaient servir à établir la vraisemblance et l’authenticité de celles qu’il nous livre, n’a-t-il pas trop compté sur notre attention ? Croit-il donc que sa tâche se borne, comme celle d’un médecin au chevet du lit d’un malade, à étudier et à décrire les symptômes d’une passion ?