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ROMANS CARLOVINGIENS.

plutôt qu’ils ne se perdent tout d’un coup, et d’une manière accidentelle. S’il en restait aujourd’hui quelqu’un, ce ne serait qu’autant qu’il aurait été transporté dans quelque roman plus considérable, de la substance duquel il serait aujourd’hui impossible à détacher.

Toutefois, vous vous souviendrez peut-être que je vous ai cité l’année dernière, de la fameuse chronique de Turpin, des passages que j’ai cru devoir vous signaler, comme des chants populaires, primitivement isolés, dont le moine, auteur de cette chronique, aurait bigarré le fonds de sa plate légende. Tel m’a paru, entre autres, le passage où Roland, blessé à mort, essaie de briser son épée, pour qu’elle ne tombe pas entre les mains des Sarrasins au grand détriment des chrétiens. — Je persiste à croire que ce morceau si touchant et d’un si grand caractère, malgré quelques traits grotesques qui le déparent, n’appartient point au fonds de la légende où il se trouve aujourd’hui. C’est, selon toute apparence, un ornement populaire que le légendiste a transporté dans son récit, non sans l’altérer, il est vrai, mais sans parvenir à en effacer totalement la poésie.

L’ancienneté et la popularité de ce passage semblent attestées par le respect traditionnel avec lequel il fut traduit dans tous les récits de la défaite de Roncevaux : je viens tout-à-l’heure de vous en citer deux traductions ; j’aurais pu vous en citer trois, et je ne doute pas qu’il n’en ait existé un très grand nombre.

Si, comme je ne puis me défendre de le présumer, ce morceau avait été, dans l’origine, un chant populaire détaché, il marquerait, pour nous, le point le plus reculé auquel on puisse faire remonter l’histoire de l’épopée carlovingienne.


(La 2e partie à la prochaine livraison.)


fauriel.