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ROMANS CARLOVINGIENS.

de vous dire ici, en somme, que ce petit roman a pour sujet la conquête de la ville d’Orange sur les Sarrasins par Guillaume-au-court-Nez.

Il est, comme tous ceux de sa classe ou de son cycle général, composé de couplets ou tirades monorimes, au nombre d’environ soixante. Il suffit de parcourir de suite quelques-unes de ces tirades, pour se convaincre aussitôt qu’elles forment (sauf quelques lacunes) deux séries parfaitement distinctes, dont chacune n’est, dans son ensemble, qu’une seconde version de l’autre ; de sorte qu’au lieu d’un roman, on en a véritablement deux qui, roulant sur le même fonds, différent plus ou moins par la diction, par les détails, par les accessoires, et sont comme entrelacés pièce à pièce l’un dans l’autre. Que ces deux romans soient de deux différens auteurs, c’est ce qui est à peine contestable, et, ce qu’au besoin, l’on établirait par diverses preuves : il y en a donc un des deux qui a servi de modèle, je dirais presque de moule à l’autre, et qui lui est antérieur d’un temps plus ou moins long.

En rapprochant ce fait des précédens, le résultat commun en est facile à déduire. Il est évident que, parmi toutes ces différentes versions d’un même passage, d’un même lieu de roman, il y en a qui ne sont et ne peuvent être que des fragmens d’un autre roman sur le même sujet.

Maintenant, comment et par quels motifs ces fragmens ont-ils été intercalés dans les romans auxquels ils ont rapport, de manière à y faire doublure et à en interrompre la suite ? C’est une question embarrassante, mais pour la solution de laquelle les données ne manquent cependant pas tout-à-fait. Seulement ce serait une discussion minutieuse et compliquée que je dois écarter pour le moment, afin de suivre le premier fil de ces recherches. Je me contenterai d’observer, en passant, que cet amalgame, cet entrelacement de plusieurs romans dans un seul et même manuscrit, ne peut pas être l’œuvre des romanciers eux-mêmes. Ce doit être celle des copistes, ou peut-être d’une classe particulière d’hommes, analogue à ces diaskevastes de l’ancienne Grèce, dont la fonction était de coordonner et ajus-