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ROMANS CARLOVINGIENS.

Elles les abandonnent et les trahissent. Faut-il se délivrer par le meurtre de quelque prétendant incommode, de quelque courtisan opposé à leurs desseins ? Elles s’en délivrent. Faut-il changer de religion ? Elles en changent. Rien ne leur coûte. Elles ont de la force, de la résolution pour tout. Elles n’ont qu’une terreur, celle de n’être pas assez tôt au pouvoir de celui à qui elles se sont données.

C’est surtout aux princesses sarrasines que les romanciers ont attribué cette énergique simplicité de caractère qu’elles portent dans l’amour. S’ils ne l’avaient jamais donné qu’à des princesses non chrétiennes, on pourrait leur supposer, en cela, une intention sinon juste, au moins ingénieuse et profonde ; on pourrait se figurer qu’ils supposèrent la grâce et la pudeur féminine impossibles, ou tout au moins très difficiles hors du christianisme. Mais on s’assure bien vite qu’ils n’eurent point une idée si raffinée, quand on voit comment ils peignent des princesses chrétiennes, les filles de ces mêmes chefs, infatigables adversaires des Sarrasins. J’aurai l’occasion de vous citer, dans le développement de ce cours, plusieurs traits, en preuve de ce que je ne puis qu’énoncer ici d’une manière générale ; mais il ne sera peut-être pas hors de propos de vous en rapporter, dès à présent, un qui pourrait, au besoin, tenir lieu de plusieurs autres.

Je le tire du roman d’Aiol, que je vous ai déjà nommé tout-à-l’heure, et dont il est possible que j’aie par la suite occasion de vous citer d’autres passages. Aiol, fils d’Elie, comte de Saint-Gilles, proscrit et réduit à vivre dans une forêt avec un ermite, a quitté son père pour venir chercher fortune à la cour de Louis-le-Débonnaire. Il arrive à Orléans où est la cour, mais si mal accoutré, si mal armé, que tous les petits garçons de la ville le poursuivent de huées. La comtesse Ysabeau et sa fille Luziane, qui le voient de la fenêtre de leur palais, sont frappées de sa bonne mine, qui perce à travers la misère grotesque de son costume ; elles lui font offrir l’hospitalité, que le pauvre jeune aventurier accepte de bon cœur. Après un magnifique souper, on le mène coucher dans un lit superbe que Luziane a voulu faire elle-même. Elle n’a pas eu beaucoup de temps pour deve-