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la galanterie chevaleresque du midi. Dans ce système, l’amour est une affection dégagée de toute sensualité ou du moins de ce genre et de ce degré de sensualité qui en émoussent d’ordinaire l’exaltation et le charme moral. C’est l’union sentimentale d’une dame et d’un chevalier qui fait, pour lui plaire, pour mériter d’être aimé d’elle, tout ce qu’il y a de glorieux et de noble à faire pour un homme. — Cet amour ne peut pas exister dans le mariage, mais il n’offense pas le mariage ; et une dame peut, sans être infidèle à son époux, avoir un chevalier qui soit l’objet de ses plus douces et de ses plus tendres pensées.

Tel est, autant qu’on peut le résumer en quelques mots, le système d’amour et de galanterie que les troubadours et leurs imitateurs ont tourné et retourné en tous les sens dans leurs compositions lyriques. C’est exactement le même qui se retrouve, bien qu’épisodiquement et sans y occuper beaucoup de place, dans quelques romans du cycle carlovingien.

Mais dans la plupart de ces mêmes romans, il n’y a aucune apparence de cet amour systématique, exalté et délicat, principe suprême de tout honneur, de toute vertu. Ce n’est pas qu’il ne s’y trouve des dames, des filles d’émir, de roi, d’empereur, toutes aussi jeunes et aussi belles qu’on peut le souhaiter, et toutes fort enclines à l’amour ; mais elles l’entendent et le font à leur manière, avec leur caractère, et à parler franchement, il n’y a rien d’aussi peu chevaleresque, du moins dans le sens déterminé, dans le sens provençal de ce terme.

Les romanciers carlovingiens étaient tellement accoutumés à peindre la force et l’audace viriles, que leurs portraits des femmes se sont fréquemment ressentis de cette habitude. Au lieu des vierges gracieusement timides et sauvages que l’on pouvait s’attendre à rencontrer dans leurs tableaux, on y trouve, pour l’ordinaire, des princesses qui se passionnent à la première vue, pour le premier chevalier jeune et brave qu’elles voient de près ou de loin ; qui lui déclarent franchement leurs désirs, bien avant que celui-ci ait pu s’en douter, et ne reculent devant aucun obstacle, pour arriver à l’accomplissement de leurs vœux. — Faut-il, pour cela, abandonner ou trahir leur père, leur mère ?