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ROMANS CARLOVINGIENS.

À ceux de ces romans relatifs à la grande, ou pour mieux dire à la seule expédition de Charlemagne en Espagne, s’en rattachent immédiatement plusieurs autres qui ne furent guère moins célèbres. Je veux parler de ceux où il s’agit de la conquête de l’ancienne Septimanie et particulièrement de Nîmes et de Narbonne sur les Arabes.

C’est à Charlemagne que les romanciers ont attribué cette conquête ; et tout le monde sait qu’elle fut un des plus glorieux exploits de Charles Martel. Les romanciers du douzième siècle eux-mêmes ne devaient pas l’ignorer : les traditions populaires ne pouvaient être en défaut sur un fait si positif et si simple.

On serait donc tenté de supposer à une méprise si saillante et si facile à éviter un motif réfléchi et volontaire. Charles Martel avait fait plusieurs campagnes contre les Arabes de la Septimanie, et dans toutes ces campagnes, il avait traité le pays en homme qui ne se propose pas de l’occuper. Il avait brûlé, dévasté, détruit tout ce qui pouvait être détruit, dévasté, brûlé, jusqu’à des villes entières, et entre autres celle de Maguelone, d’origine phocéenne, et qui florissait encore alors par le commerce. Il avait emmené les populations captives, enchaînées, comme des meutes de chiens, selon l’expression des chroniques du temps. — On conçoit aisément que, par une telle conduite, Charles Martel ne dut laisser dans les pays dont il chassa les Arabes, qu’une renommée fort odieuse ; et ce fut peut-être par une sorte de vengeance poétique, que les romanciers du douzième siècle attribuèrent ses exploits à son petit-fils.

Ce n’est pas que Charles Martel ne figure parfois dans les épopées carlovingiennes ; mais la manière dont il y figure est plus propre à confirmer qu’à détruire la conjecture que je viens d’énoncer. Il n’y figure que par un anachronisme monstrueux, dans des événemens qui appartiennent au règne de Charles-le-Chauve, et le rôle qu’on lui fait jouer dans ces événemens est celui d’un despote capricieux qui force un brave seigneur, un chef héroïque à se révolter contre lui. S’il n’y a pas dans ces violations de l’histoire une sorte de malveillance et de rancune poétiques, il y a du moins une fatalité singulière. Il est étrange,