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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

feu qu’elle allume dans nos âmes les purifie. Après avoir joui de ses chastes attraits, nous sommes plus forts, plus généreux, plus grands ; alors la patrie pourra se servir de nous. L’art de cette façon devient socialement utile ; mais vous devez tout à la liberté de l’artiste. Invoquez son génie ; mais sachez l’attendre. Il est déraisonnable d’assigner au poète des sujets et des matières d’utilité sociale et de lui faire des commandes philosophiques. C’est à lui d’imposer la loi, et non pas de la recevoir ; mais si un peuple vivait longues années sans enfans prédestinés qui lui dévouassent leur âme, il y aurait à juger sévèrement cette désertion du génie et ce peuple abandonné.

La philosophie psychologique et morale du saint-simonisme a été d’une faiblesse misérable. Il faudrait cependant connaître l’homme quand on veut le conduire et le transformer. L’intelligence a toujours été confondue par l’école, tantôt avec le raisonnement, tantôt avec le sentiment. La liberté méconnue, le droit oublié, l’individualité blessée, les passions signalées comme un puissant mobile, mais point approfondies dans leurs profondeurs et leurs mystères, témoignent de la légèreté avec laquelle fut fabriquée la métaphysique du saint-simonisme.


Il me reste, monsieur, à jeter avec vous un dernier coup-d’œil sur le caractère général de l’école et les résultats de sa courte apparition. L’école a voulu réussir à tout prix, et le plus tôt possible ; ç’a été son écueil et sa folie : elle a pris le bruit pour la popularité, la curiosité pour l’approbation ; afin d’augmenter le bruit et la curiosité, elle a essayé tous les tons, tous les costumes, tous les moyens : elle a dissipé toutes ses ressources, fatigué tous les esprits, découragé les dévoûmens qui s’étaient offerts, ou ceux qui se préparaient : en un an, elle a gaspillé tout un avenir. Ce n’est pas ainsi que les choses prospèrent et se mènent à bien. Voulez-vous acquérir quelque ascendant sur les hommes, soyez simples, montrez-vous ce que vous êtes et non pas autres. Apparemment c’est en vertu de votre propre nature que vous voulez prévaloir ; ne la fardez donc pas ; faites-la connaître