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LES CONFIDENCES.

freuses douleurs ? Puis il entra, sans s’interrompre, dans le récit de malheurs qu’il est difficile d’imaginer. L’amour était en arrière de toutes ses peines ; mais Émile ne pleurait que les erreurs qu’il avait causées. À peine ce jeune homme entrait-il dans le monde, qu’il s’était épris pour une femme bien plus âgée que lui et versée dans l’intrigue. Il y avait en cet homme trop d’amour pour opposer un remords à une volonté chérie : aussi se laissa-t-il entraîner dans de grandes fautes ; puis, devenu pour son ambitieuse maîtresse un moyen inutile, elle l’avait quitté pour former une nouvelle liaison qu’elle croyait devoir mieux la conduire à son but. Depuis deux ans déjà, cette dame était en Allemagne. Son faible amant disait ne plus l’aimer, mais il était seulement malheureux des suites funestes qu’avait eues sa coupable docilité. Hélas ! à de si grands maux je ne pouvais porter remède ; mais il m’était permis d’adoucir le désespoir qu’ils causaient. Je pleurai avec Émile. Il vit que je partageais sa souffrance, et, lorsque nous nous séparâmes bien avant dans la nuit, il était calme. Son avenir, soutenu, partagé par une amie, lui semblait moins effrayant à traverser. Le lendemain, Émile revint. Les jours suivans, je le revis encore ; sans cesse il était près de moi. Alors il disait ne pas souffrir : il éprouvait une sorte de relâche. Pour moi, je m’attachais à lui par l’idée du bien-être que je lui causais. Il est si doux de se sentir nécessaire à une autre existence ! aussi Émile était-il ma pensée constante, et lui rendre le bonheur devint la seule occupation de ma vie.

Eugénie sourit.

— Tu te trompes, dit la marquise, j’ignorais encore que j’aimais ; occupée de lui seul, je n’avais pas le loisir de réfléchir sur moi-même. Nous étions un matin ensemble dans le jardin. C’était le commencement d’une belle journée ; je me le rappelle, le ciel était bleu comme celui d’Italie, puis toutes les fleurs du printemps étaient là autour de nous, embaumant l’air de leur doux parfum. J’étais assise sur un banc de verdure. Émile, couché à mes pieds sur le gazon, jouait avec les bouts de ma ceinture ; l’un et l’autre nous rêvions, lui à ses peines, moi au moyen de les soulager. Tout-à-coup il rompit le silence et me dit : — Je ne puis