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REVUE DES DEUX MONDES.

En achevant ces mots, Eugénie appuya sa tête sur ses mains et se mit à pleurer.

— Tu devrais sonner, dit alors la marquise. Bien que son ton fût calme, son regard montrait cependant moins d’indifférence pour cette jeune douleur. Tu devrais sonner, Eugénie : le feu s’éteint.

Madame de Barènes obéit avec un mouvement d’humeur très marqué, puis elle alla ouvrir une fenêtre. La pluie battante, le vent qui enflait la mousseline des rideaux, ne l’empêchèrent pas de s’y placer. Elle cherchait au travers du craquement des arbres, parmi les sons affaiblis de cette musique sauvage, à distinguer les pas d’un cheval. Le domestique vint mettre du bois au feu, nettoya l’âtre avec soin, et, pendant ce temps, le bruit régulier de l’aiguille de la marquise brodant ne cessa de se faire entendre.

— Eugénie, ferme la fenêtre : je n’ai pas ton cœur brûlant, et je gèle, dit la marquise de Vercourt.

Madame de Barènes obéit encore, et sans doute fatiguée de ces interruptions, elle prit un livre. Quelquefois la marquise levait ses yeux vers elle ; mais son travail n’en souffrait pas.

— C’est révoltant ! dit madame de Barènes, en jetant le livre.

— Quel est le pauvre auteur qui éveille cette colère ?

— Marmontel ; avez-vous lu son conte d’Heureusement ?

— Oui, et je ne te comprends pas.

— Comment ! une femme mariée avoue qu’elle a été au moment de manquer à ses devoirs, et que le hasard seul l’a sauvée !

— Que voulais-tu donc qui la sauvât ? dit madame de Vercourt en souriant.

— Ce que j’aurais voulu qui la sauvât ?… s’écria Eugénie, qui prenait la chose au sérieux, son amour pour son mari…

— Tous les maris ne sont pas adorables et adorés.

— Sa vertu, l’opinion.

— Ah Eugénie ! tu juges avec sévérité parce que tu ne connais encore que le beau côté des choses ; mais… crois-tu que j’aie des principes ?

— Sans doute, et vous êtes connue pour la femme la plus ver-