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qu’on profane en plein jour, et la sainte messe violée, et l’hymne des morts, cette belle prose de l’église souffrante, rabaissée à la hauteur d’une poésie de révolution ! Voilà où en est la poésie ! Voilà où en est la croyance ! Voilà où en sont les poètes aujourd’hui !

Peu importe donc que M. Casimir Delavigne fasse des vers ou n’en fasse pas pour le duc de Reichstadt ; à dire vrai, je ne crois pas qu’il en fasse. L’enfant mort doit être consolé, s’il a lu la Parisienne, le chien du Louvre, la Messénienne et le De profundis de Kosciusko.

Quant à M. de Châteaubriand, vous avez entendu dire qu’il avait été en prison, qu’on avait mis la main sur lui, le grand poète, puis qu’on l’avait relâché comme on l’avait arrêté, sans lui demander pardon à genoux ; puis qu’il allait partir, lui aussi, comme Lamartine est parti, quand il aura trouvé assez d’argent pour mettre bien dans les règles son passeport !

Soyez tranquille, un de ces jours nous aurons quelque belle phrase de M. de Châteaubriand sur le fils de l’Empereur. M. de Châteaubriand a trop occupé le père, pour ne pas s’occuper du fils. D’ailleurs comment celui qui s’occupe du duc de Bordeaux ne s’occuperait-il pas du duc de Reichstadt ? Comment cela peut-il échapper aux vues les plus courtes : savoir que ces deux enfans étaient unis l’un l’autre par un lien secret insaisissable, plus fort encore que celui qui unissait Rita-Christina, ces deux enfans morts à vingt-quatre heures de distance ? Reichstadt ! Bordeaux ! deux infortunes pareilles, deux destinées identiques, deux malheurs qui se soutenaient l’un l’autre ! Napoléon rendait sinon possible, du moins vraisemblable Henri de Béarn. Ils étaient l’ombre l’un de l’autre, l’un prouvait l’autre ; à présent que le premier est mort, Henri a perdu son ombre, Henri est incomplet, Henri est perdu parce que l’autre est perdu. Quelle destinée ! Qui eût dit à Charles x que l’enfant de l’Élysée-Bourbon devait un jour porter le deuil de l’enfant de Schœnbrun ? Ô pitié !

La poésie n’est plus dans les poètes, la poésie est dans les faits ; elle a passé des chansons dans l’histoire, du vers dans la prose,