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LA MORT DU DUC DE REICHSTADT.

posée au réquisitoire et à la prison ; mais aujourd’hui haine morte ou qui plus est, haine triomphante, haine sans but, haine dont personne ne veut plus, pas même ceux qui se battent en Vendée ; haine d’esprits bornés et d’hommes médiocres, qui conservent du fiel dans leur cœur, comme d’autres nourrissent des chevaux dans leur écurie, par vanité : seulement ce fiel contre la maison de Bourbon est moins cher à nourrir.

D’autre part, si une moitié des chansons de Béranger vivait de haine pour Louis xviii ou pour Charles x, gens peu aimables, il faut le dire, toutes les fois qu’ils ne voulaient pas être aimables ; toujours faut-il, d’autre part, avouer aussi que la grande moitié de ces chansons vivait d’amour pour Bonaparte. Bonaparte est le héros de ces chansons. Il n’y a pas de vers qui aient été mieux gravés dans la mémoire du peuple que ceux-là ; de vers politiques j’entends, car, en fait de poésie pure, nous savons des gondoliers de Venise qui savent par cœur des chants entiers de la Jérusalem, et qui ne les oublieront de leur vie, tout au rebours des vers politiques. Le plus beau vers politique s’efface à la longue. À mesure que le héros meurt ou qu’il est chassé bien loin, à mesure que l’objet de haine ou d’amour s’en va loin du peuple, le vers politique s’en va aussi, et tout passe en même temps, l’Empire et la chanson de gloire, la Restauration et la chanson de haine, Napoléon et Béranger, Charles x et Béranger. Béranger est entraîné dans cette double chute ; entraîné par Charles x tout-à-fait, parce que les peuples, plus honorables et moins vindicatifs que les particuliers, ne détestent pas jusqu’à la troisième génération. Béranger était encore un peu soutenu par le fils de l’Empereur, car l’amour du peuple dure plus que sa haine, fort heureusement pour les grands hommes et pour les rois. À présent que Napoléon ii est mort, la seconde moitié des chansons de Béranger n’a plus de point d’appui, plus d’écho dans l’avenir, c’est-à-dire, plus d’espérance, cet écho des passions politiques ; Béranger est mort tout-à-fait pour l’amour, comme il est mort tout-à-fait pour la haine. Voilà ce que je ne voulais pas dire d’abord, voilà ce que je dis tout-à-fait à présent, entraîné par la logique de mes pensées.