Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/406

Cette page a été validée par deux contributeurs.
402
REVUE DES DEUX MONDES.

bien difficile d’exprimer clairement plus tard même par les cantiques des jésuites et par les chansons de Béranger.

Béranger, comme tous les poètes ses frères, a fait volte-face devant la révolution de juillet. Il lui a tourné le dos, poétiquement parlant ; il n’a pas osé lui adresser la parole une seule fois, à cette fille perdue qu’il avait couvée le premier. Soit qu’il ait été intimidé devant son ouvrage, soit qu’il ait été désolé d’avoir produit ce que lui et les siens regardent comme une monstruosité ; soit qu’il ait été mécontent du peu de reconnaissance de la fille pour le père, Béranger n’a rien dit à cet enfant de son génie. Il l’a laissé grandir sans un conseil, s’égarer sans une réprimande, il la laissera se perdre sans lui dire : Voilà ton chemin ! Béranger, qui, autrefois dans son beau temps d’opposition, était à l’affût des moindres mouvemens glorieux ou spasmodiques de la nation française, a laissé passer les plus belles occasions de poésie depuis juillet. Il a laissé passer les trois jours, le chien du Louvre, Varsovie même, la Pologne sanglante, Benjamin Constant mort, lui le chantre du général Foy et de Manuel, lui le chantre de la Grèce et le vengeur de Parga ! Il a laissé passer tout cela sans un couplet, sans un refrain, avec un dédain cruel ; il a manqué à son parti ; la république s’est fait égorger dans la rue des Prouvaires : c’était un beau couplet à faire, Béranger n’a rien dit sur tout cela. Où est-il ? Que fait-il ? Est-il mort ? Voici que le peuple oublie ses chansons déjà, car les passions de ces chansons sont déjà bien vieillies. À présent Béranger sera-t-il reconnaissant jusqu’au bout à l’Empereur, se souviendra-t-il que cet Empereur l’a fait populaire, lui Béranger ? Laissera-t-il la tombe de Napoléon ii sans y jeter quelques fleurs ? Voilà toute la question ! Et si elle n’est pas très importante, cette question, du moins est-elle faite pour exercer la sagacité des critiques ; car, enfin, ceci est une question de vie ou de mort pour Béranger. Qu’il y prenne garde ! la révolution de juillet a porté un grand coup à ses chansons. La moitié de ses chansons étaient soutenues par une haine mortelle contre la maison de Bourbon ; haine féroce, haine de poète, haine superbe tant qu’elle n’a pas été triomphante, haine honorable tant qu’elle a été ex-