Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/401

Cette page a été validée par deux contributeurs.
397
LA MORT DU DUC DE REICHSTADT.

Hugo ne résiste pas à la sainte envie de se mesurer avec l’enfant de Bonaparte, je parie que le poète succombera. Victor Hugo est comme tous les hommes de cœur de son temps, il est vaincu à force de déceptions ; il ne croit plus au monde réel, tant il l’a vu changer de fois, il n’a plus aucune des illusions de la force et de la puissance, tant il a compris que la force et la puissance sont choses misérables. L’homme qui naissait quand la république avait le râle, l’homme qui a vu passer le cercueil de Louis xviii et le berceau du duc de Bordeaux, berceau fait avec les planches d’un cercueil, le poète qui est allé d’abîmes en abîmes, et qui s’est pu convaincre que de toutes les vanités, la plus grande des vanités, c’était encore, à tout prendre, la faveur populaire ; l’homme qui a vu le hasard mettre sur la même ligne Wellington et Bonaparte, et qui a reculé d’effroi devant cet atroce bonheur de Wellington ! l’homme qui a compris que la poésie n’était pas de son temps, et qui a sagement rejeté cette poésie dans les vieux temps, pour avoir le droit d’être poète ; celui-là, dis-je, ne sera pas tenté, quoi que lui dise la gloire, de se hasarder à ce grand nom de Bonaparte sous lequel succombe un enfant ! Non pas certes ! Le sujet est trop ingrat, la victime est trop bien morte ! L’âme des peuples est trop tremblante, le monde est haletant dans l’attente de trop grandes révolutions, pour que le poète veuille perdre sa parole, c’est-à-dire son âme, à célébrer le second trépas de Napoléon ; ou bien s’il se hasarde, comme on le dit, malheur à lui, car il ne trouvera pas d’écho. Dans tous les cas, que Victor Hugo garde le silence ou qu’il parle, tenez-vous pour assuré que c’est un grand poète perdu pour la poésie lyrique et pour long-temps, lui qui avait compris la poésie lyrique avec tant d’audace, tant d’amour, tant de passions, tant de néologisme, tant de bonheur !

Or vous avez remarqué sans doute un des caractères lyriques de Victor Hugo, c’est qu’il est le plus infatigable et le plus rapide de nos poètes. À lui, montrez un sujet, offrez un héros, faites-lui voir bien au loin une idée, l’idée et le héros, le sujet, tout cela est à lui. Il va, il va, il va, tant qu’il peut aller. Aussi toujours est-il le premier sur la brèche ; le premier, hale-