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les laisser monter un instant dans sa charrette, car ils sont fatigués ; la route est longue, et ils craignent de n’avoir pas assez d’argent le soir pour avoir un gîte et du pain ! Oh ! les beaux jeunes gens ! les intéressans voyageurs ! le poétique voyage ! Ne me parlez pas dans vos romans de filles séduites et enlevées, de jeunes gens ruinés et perdus par la passion, de brigands, d’assassins, ou bien encore de Cosaques et d’invasion ! Toutes les scènes que vous inventerez, joie ou tristesse, jeune âge ou vieillesse, mariage ou séduction, toutes les imaginations du monde, Sterne, j’ai dit Sterne ! Richardson, j’ai dit Richardson ! Cervantes, Rabelais, Jean-Jacques Rousseau ou Lesage ; j’ai dit Cervantes, Rabelais, Jean-Jacques Rousseau et Lesage ! n’ont rien trouvé, rien inventé, et ne pouvaient rien inventer, rien trouver en effet qui vaille le double voyage de mes deux contemporains.

Pendant que Napoléon rêve gloire et conquêtes, et bondit comme un jeune cheval, Henri plus triste, car il est plus enfant, Henri plus ennuyé, car il a été élevé plus saintement, Henri pense à la France aussi et prête l’oreille. — C’est la France ! — Il croit entendre de loin le bruit des cloches, le son des cantiques, le noble cor qui retentit dans le bois, appelant à la noble chasse : il se figure des palais et des serfs, des gentilshommes maîtres souverains dans leurs domaines, toute la vieille France, la France à lui depuis qu’elle est la France, son royaume à lui, son royaume dévot, soumis, serf et riche, florissant sous la bannière blanche ; le lys de sa famille dominant de toute sa hauteur le laurier et le chêne, et les vieux arbres. Henri élevé par les prêtres, Henri élevé dans le Télémaque, cette éducation libérale sous Louis xiv, et si en retard aujourd’hui ! Prête bien l’oreille, Henri ; prête bien l’oreille, Napoléon ! Écoutez là-bas du côté de France. Vous n’entendrez rien venir de là, messeigneurs, ou bien, si vous entendez venir quelque bruit, ce n’est pas la trompette guerrière, ce n’est pas le clairon frémissant, ce n’est pas le cheval qui hennit, comme aussi ce n’est pas la cloche sainte, ce n’est pas le cor féodal, ce n’est rien de ce que tu crois entendre, Henri, ce n’est rien de ce que tu crois, Bonaparte ; c’est l’émeute qui lève la tête, l’émeute hideuse, mal peignée et aux