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plus, et que la chute de ces vieilles images découvrirait à ses yeux deux puissances oubliées dans ses calculs, l’esprit humain et le peuple. C’était ainsi, monsieur. Rien du passé n’avait plus de crédit dans la conscience de la nation française. D’un autre côté, nous gravitions vers l’avenir sans but positif. La France n’était plus monarchique : elle n’était pas républicaine ; elle s’engageait dans l’inconnu avec une audace inexprimable. J’avoue, monsieur, que cette disposition morale n’était pas facile à saisir ; mais c’est pour n’en avoir pas eu l’entente que, dès le début, l’Europe a trouvé dans notre conduite des mécomptes qui l’ont aigrie, armée contre nous. Effectivement, la journée du 14 juillet 1789, où Paris, escaladant la Bastille, emportait d’un seul coup tout l’ancien régime, surprit et épouvanta les cabinets et les cours. On s’écria que la révolution sortait de l’ordre moral, pour entrer dans l’exercice et l’entraînement de la force. Dès-lors la France devint suspecte ; bientôt l’émigration des princes et des gentilshommes redoubla auprès des puissances la défaveur des préventions entretenues contre nous ; puis on passa de la défiance à la colère ; enfin le desir de nous combattre et de nous réduire enfanta le projet d’une coalition.

Ici la révolution française va susciter dans la politique européenne des changemens sensibles. Les cabinets oublient, ajournent ou modifient leurs ambitions et leurs convoitises particulières, pour se livrer plus librement à la répression des idées révolutionnaires ; et deux puissances, qui, pendant le cours du dix-huitième siècle, s’étaient continuellement choquées et combattues, se réconcilièrent en vue de notre détriment et de notre ruine. L’empereur Léopold ii fit au roi Frédéric-Guillaume des avances et des sacrifices, et subordonna à ses convenances les avantages qu’il pouvait recueillir de ses négociations ou de la guerre avec la Porte-Ottomane. Ainsi, la maison impériale de Lorraine-Autriche renonçait à l’esprit et aux ressentimens de Charles-Quint et de Marie-Thérèse, pour tendre la main à la monarchie militaire que le grand Frédéric avait formée de ses lambeaux et de ses humiliations ; irrécusable indice des animosités royales contre notre révolution.