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SIGURD.

vont peu-à-peu s’effaçant dans le vague. Ce personnage, devenu étranger à l’action et aux événemens qui continuent à se mouvoir autour de lui, touche au ridicule : c’est ce qui est arrivé pour Charlemagne, pour le roi Arthur, c’est ce qui est presque arrivé pour Attila, surtout dans les Niebelungs, où, les bras croisés pendant l’épouvantable catastrophe, il ne prend part à rien, ne tente de rien empêcher, laisse sa femme commettre des atrocités sur les Bourguignons, auxquels il veut du bien, et la laisse ensuite massacrer avec un égal flegme. Un bon homme, voilà ce qu’avec le temps, l’imagination populaire avait fait du terrible Attila.

La grande catastrophe qui termine les Niebelungs était-elle un souvenir de la fameuse bataille des champs catalanniques, où combattirent des représentans de presque toutes les populations barbares, ou de celle que se livrèrent, après la mort d’Attila, ses fils et les peuples qu’il avait rassemblés sous ses drapeaux, ou bien de ces deux batailles à-la-fois ? On ne sait, mais enfin à ce nom d’Attila se rattachait la pensée d’une immense extermination, à ce nom se rattachait aussi l’idée d’un vaste empire et d’une grande quantité de chefs de diverses nations germaniques sous les ordres du grand chef barbare ; par là, on était conduit à placer autour de lui tous les noms célèbres dans les traditions germaniques, quels qu’ils fussent : ainsi on faisait Théodoric son lieutenant, parce que des Goths et un autre Théodoric servaient dans son camp.

Le plus curieux des anachronismes des Niebelungs est d’avoir mis en relation avec Attila le margrave Rüdiger, mort dans le neuvième siècle en combattant les Hongrois, qu’on appelait aussi les Huns, et pour comble de confusion, on y voit figurer l’évêque Pellegrin, mêlé à tous ces personnages héroïques plus anciens, uniquement pour avoir rédigé en latin au onzième siècle la tradition qui a servi de base aux Niebelungs. L’épisode consacré à Rüdiger est plein d’un intérêt touchant et de sentimens chevaleresques, qui seuls démontreraient qu’il est d’un autre temps que le sanglant tableau dans lequel il est encadré.