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vivante, et par conséquent se renouvelant, se transformant, se diversifiant sans cesse, a traversé le moyen-âge, et retentit encore, dans quelques chansons, dans quelques légendes populaires, parmi les brumes des îles Ferroé, aux bords des lacs de la Norwège, au sein des bruyères de la Westphalie.

Dans nos temps plus de curiosité que de poésie, ne nous intéresserons-nous pas au moins, comme à un fait digne d’étude et d’attention, à cette biographie d’une épopée de l’Europe primitive, à ses courses à travers les lieux et les âges, à ses vicissitudes, à ses aventures qui forment, pour ainsi dire, une autre épopée dont la tradition est l’héroïne. Il me semble qu’il y a quelque charme à suivre ainsi, comme à la trace, à travers le monde, une antique et naïve histoire, à se la faire raconter en diverses langues, par diverses générations, à voir comme chacune la fait sienne, l’empreint de son propre caractère, l’altère ou l’enrichit de ses propres souvenirs. C’est comme de suivre à travers le ciel un beau et sombre nuage, de voir ses contours mobiles onduler aux caprices du vent, ses flancs s’embrunir ou s’éclairer aux jeux de la lumière, ses flocons s’éparpiller ou se grouper dans les airs : et ce nuage, comme ceux d’Ossian, contient les ombres du temps passé.

Ce n’est pas ici le lieu d’embrasser, dans toute son étendue, le développement des légendes héroïques du Nord. Je le ferai ailleurs[1]. Aujourd’hui je détache de leur ensemble ce qui en forme le centre, la destinée du héros par excellence, de Sigurd ; et je me borne aux deux principales sources qui nous l’ont conservée, l’Edda Scandinave et le poème allemand des Niebelungs.

L’Edda, recueil fait en Islande au onzième siècle, de chants scandinaves plus anciens, qui contient les débris des vieilles croyances et des vieilles traditions du Nord, l’Edda raconte à sa manière l’histoire de Sigurd. Je donnerai d’abord une analyse rapide de son récit et la traduction de quelques fragmens. J’en

  1. Dans un ouvrage ayant pour titre : Origines et poésies scandinaves, qui est presque achevé et ne tardera pas à paraître.