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POÈTES ET ROMANCIERS FRANÇAIS.

solennel retentissement. Ce qu’on doit craindre surtout au théâtre, c’est l’éparpillement et la diffusion de l’intérêt. L’auditoire, si attentif qu’il soit, a bien d’autres distractions que le lecteur. Pour le surprendre et l’attacher, il ne faut pas prendre la vérité à la lettre. Il faut l’exagérer à propos, se conduire enfin comme font les peintres et les statuaires, comme faisaient Rubens et Michel Ange, laisser dans l’ombre les traits les moins importans, et porter sur ceux qu’on veut montrer, un jour éclatant et impossible, s’il le faut.

Le dernier ouvrage d’Alfred de Vigny, Stello, marque dans son talent une manière inattendue et nouvelle. C’est à mon sens, et l’on s’en convaincra facilement par deux ou trois lectures successives qu’il peut subir impunément, le plus personnel, le plus intime et le plus spontané de ses livres, au moins en ce qui regarde la pensée à son origine, la pensée prise à son premier développement ; car le style de Stello est plus châtié, plus condensé, plus sonore, plus arrêté, plus solide et plus volontaire encore que celui de Cinq-Mars. Quelquefois même, on regrette que l’auteur ne se soit pas contenté plus vite et plus volontiers d’une première et soudaine expression. Il a voulu, et nous l’en remercions, mettre de l’art dans chaque page, dans chaque phrase et presque dans chaque mot. Mais peut-être eût-il mieux fait d’être moins sévère pour lui-même, et de se livrer plus souvent au caprice de ses inspirations.

L’idée-mère de Stello a de lointaines, mais profondes analogies avec Moïse. Qu’est-ce autre chose, en effet, en tenant compte de l’acteur et de la scène, et des différences historiques qui les séparent, qu’est-ce autre chose que la tristesse amère et désabusée du législateur hébreu, traduite sous une autre forme ? Entre la mélancolie plaintive, quoique résignée du prophète, et le désenchantement douloureux du poète moderne, j’aperçois une parenté très réelle.

Que sont les poètes dans les sociétés modernes ? des enfans perdus. Le mot est vieux et presque vulgaire, mais il est vrai, désespérément vrai. Sous quelle forme de gouvernement les hommes de rêverie et de fantaisie trouvent-ils à satisfaire leurs