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BATAILLE DE LA TABLADA.

sur celle de Buenos-Ayres ; car celles de l’intérieur avaient pris peu de part à cette guerre nationale où il allait de l’honneur et de l’existence de la république. Les unes étaient trop éloignées pour que l’indépendance de Montévideo les touchât vivement ; les autres, trop pauvres en ressources et en population, pour prendre une part active à la lutte ; presque toutes, animées d’un sentiment de haine invétérée contre Buenos-Ayres, voyaient, au moins avec indifférence, les avantages qui devaient résulter de la victoire, et dont cette province devait retirer tout le fruit. Cette jalousie honteuse tenait à plusieurs causes, d’abord aux mœurs de l’Espagne elle-même, qui l’ont, pour ainsi dire, divisée en autant de nations qu’elle possède de provinces, et rendu le Catalan, l’Andaloux, le Galicien, étrangers les uns aux autres ; ensuite à l’ancienne politique de la métropole qui, loin de fondre ses vastes colonies dans une communauté d’intérêts et d’affections réciproques, avait toujours cherché à les isoler entre elles, afin de mieux assurer sa domination sur toutes. Enfin, peut-être n’était-ce pas sans raison que Buenos-Ayres était accusée de vouloir tout centraliser à son avantage, en profitant, pour cela, de sa situation sur le littoral, de l’initiative qu’elle avait prise lors de la déclaration d’indépendance et de la réunion d’hommes éclairés qu’elle possédait dans son sein. Aussi dans l’intérieur le nom de Porteño[1] réveillait rarement, en faveur de celui qui le portait, des sentimens de bienveillance, et plus d’une bouche en le prononçant, laissait échapper un sourire qui révélait toute la haine dont il était l’objet. Ce serait néanmoins s’arrêter à la superficie des choses, que d’attribuer à ces seules causes les sentimens d’hostilité dont je viens de parler. C’était, au fond, la lutte des vieilles mœurs stationnaires du pays, des habitudes locales transmises de génération en génération, contre la civilisation moderne qui cherche à s’introduire en Amérique avec ses doctrines inflexibles et son niveau impitoyable pour les affections particulières. L’ombre du moyen-âge qui subsiste encore

  1. Nom des habitans de la province de Buenos-Ayres et surtout de ceux de la ville ; il vient de puerto, port.