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LE PONT D’ARCOLE.

un nom, toujours le même, que ces voix répétaient, et que ce nom était Napoléon qui retombait sans cesse au fond de l’arène, comme un grain d’or au fond d’un vase.

J’écoutai encore (car j’étais dans une véritable stupeur) ; et plus le bruit augmentait, plus le mot terrible se dressait devant moi dans l’enceinte des gladiateurs, qui est aujourd’hui couverte d’une herbe épaisse. Il me semblait que mon esprit était plongé dans le creuset où bouillonnait l’avenir d’un peuple, et que j’étais perdu dans ce chaos. Je montai pour respirer sur le plus haut degré du cirque, et de là j’aperçus la chaîne bleue des Alpes Tarentines et le cours de l’Adige. La plaine était noyée dans une vapeur lumineuse qui la couronnait d’une immense auréole d’or. Cette plaine était le grand champ de bataille de la république où celui dont j’entendais toujours le nom avait semé le premier germe de sa vie. Mon cœur battit horriblement à cette vue, je descendis, et je pris le chemin d’Arcole.

C’était par un de ces ciels qui sont rares même dans ce pays. Il avait plu constamment tous les jours précédens, et l’on eût dit que ce climat voulait reparaître après cela dans sa plus belle pompe. C’était le ciel des peintres vénitiens, c’est-à-dire l’âme étincelante et la pensée visible de l’Italie, qui étendait sa bande empourprée sur les villes, sur les prairies, sur les buissons d’acacias. Les nuages étincelaient en forme de faisceaux d’armes sur le haut des Alpes. Il y avait dans l’atmosphère des panaches tricolores qui flottaient en vapeur, des lames d’épées qui scintillaient dans chaque cours d’eau, des ceinturons aux agraffes d’acier qui pendaient en rosée aux guirlandes des vignes, et le ciel était plein partout d’une poussière lumineuse qui s’élevait sous le soleil, comme la poussière qui croît dans la mêlée sous la corne du pied d’un cheval de bataille. À chaque embranchement de chemin, les madones, qui, suivant les descriptions que j’en avais lues, devaient être de grossières et ridicules images, étaient ce jour-là remplies partout d’une admirable douleur de peuple, d’une douleur de mère. Elles pleuraient de grosses larmes et elles attendaient avec une insupportable anxiété sur la route des nouvelles de leur fils. Je rencontrai dans les