Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LE PONT D’ARCOLE.

Vendredi dernier, jour de la seconde semaine de la fête du Saint-Esprit, j’étais seul dans le cirque de Vérone. Ce monument, parfaitement clos de toutes parts, est un des plus beaux qu’ait laissés le génie des Romains. On y entre par des voûtes sombres et humides d’où la pluie tombait goutte à goutte. Quand je fus dans l’enceinte, je m’assis sur l’un de ses gradins de marbre où s’asseyaient autrefois vingt mille spectateurs. Je comptais être là tout-à-fait retiré et n’entendre surtout aucun bruit. Mais voilà que par les vomitoires qui recevaient la foule au temps des empereurs entrèrent pêle-mêle tous les bruits de la ville ; c’étaient des chants interrompus d’une procession qui passait, l’orgue d’une église, le cri des vendeurs, le roulement des voitures, l’appel des armes, la basse éloignée des chanteurs publics, et ce murmure dont ne peut se défendre ni jour ni nuit une grande foule d’hommes, même quand ils retiennent leur haleine. Tous ces bruits confondus roulaient sur les degrés, leurs flots se brisaient l’un dans l’autre, en bondissant sur les gradins ; ils passaient, ils descendaient vers moi comme la musique des morts dans ce spectacle invisible. C’étaient toute l’harmonie et tous les sons de ce climat de l’Italie, qui affluaient de toutes parts et retentissaient dans cette enceinte comme dans un organe de pierre. Long-temps je fis effort pour discerner quelque chose dans ces sons. Il y avait des murmures d’amour, des chants de joie, des voix d’enfans et de filles, des cris qui tombaient des Alpes, et des soupirs qui s’élevaient de la mer de Venise. À la fin il me parut que sous ces bruits divers il y avait