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DU ROMAN INTIME.

c’est-à-dire elle m’a offert son carrosse pour envoyer chercher le père Bourceaux, etc., etc… »

Ce qui ne touche pas moins que les sentimens de piété tendre dont mademoiselle Aïssé présente l’édifiant modèle, c’est l’inconsolable douleur du chevalier à ses derniers momens. Il fait pitié à tout le monde, et on n’est occupé qu’à le rassurer. Il croit qu’à force de libéralités, il rachètera la vie de son unique amie, et il donne à toute la maison, jusqu’à la vache, à qui il a acheté du foin. « Il donne à l’un de quoi faire apprendre un métier à son enfant ; à l’autre, pour avoir des palatines et des rubans ; à tout ce qui se rencontre et se présente devant lui : cela vise quasi à la folie ! » Sublime folie en effet, folie surtout, puisqu’elle dura, et que l’existence entière du chevalier fut consacrée au souvenir de la défunte et à l’établissement de l’enfant qu’il avait eu d’elle ! Mais, nous autres, nous sommes devenus plus raisonnables apparemment qu’on ne l’était même sous Louis xv ; nous savons concilier à merveille la religion des morts et notre convenance du moment ; nous avons des propos solennels et des actions positives ; le réel nous console bonnement de l’invisible, et c’est pourquoi l’historien de mademoiselle de Liron n’a été que véridique en nous faisant savoir qu’Ernest devint raisonnablement heureux.


sainte-beuve.