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l’avenir, et durant lequel de nouvelles passions se préparent, des desirs définitifs s’amoncèlent. Mademoiselle de Lespinasse, après avoir pleuré amèrement et consacré en idée son Gustave, se prend un jour à M. de Guibert, l’aime avec le remords de se sentir infidèle à son premier ami, et meurt innocente et consumée, dans les flammes et les soupirs.

Si mademoiselle de Liron n’était pas autre chose pour nous qu’une charmante composition littéraire ; si nous ne l’aimions pas comme une personne que nous aurions connue, avec ses défauts même et ses singularités de langage, nous reprendrions en elle certains mots qui pourraient choquer des oreilles non accoutumées à les entendre de sa bouche. Nous ne voudrions pas qu’elle dît à son ami : « Vous connaissez les êtres. — Mets ton épaule près de l’oreiller, afin que je m’accôte sur toi. — Dans toutes les actions de ma vie, il y a toujours eu quelque chose qui ressortissait de la maternité. » Mademoiselle de Clermont, à Chantilly, ne se fût pas exprimée de la sorte, en parlant à M. de Meulan ; mais mademoiselle de Liron était de sa province, et l’accent qu’elle mettait à ces expressions familières ou inusitées les gravait tellement dans la mémoire, qu’on a jugé apparemment nécessaire de nous les transmettre.

Il nous reste, pour rendre un complet hommage à mademoiselle de Liron, à dire quelques mots des deux opuscules touchans desquels nous avons souvent rapproché son aventure. C’est la louer encore que de louer ce qui lui ressemble si diversement, et ce qui l’appelle à voix basse d’un air de modestie et de mystère sur la même tablette de bibliothèque d’acajou, non loin du chevet, là où était autrefois l’oratoire. Les Lettres de Lausanne, publiées en 1788 par madame de Charrières et aujourd’hui fort rares, se composent de deux parties. Dans la première, une femme de qualité établie à Lausanne, la mère de la jolie Cécile dont nous avons cité le portrait, écrit à une amie qui habite la France, les détails de sa vie ordinaire, le petit monde qu’elle voit, les prétendans de sa fille et les préférences de cette chère enfant qu’elle adore ; le tout dans un détail infini et avec un pinceau facile qui met en lumière chaque visage de cet intérieur. L’a-