Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/252

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
REVUE DES DEUX MONDES.

mains et d’admirables discours, enfin la maladie croissante, la promesse qu’elle lui fait donner qu’il se mariera, l’agonie et la mort, tout cela forme une moitié de volume pathétique et pudique où l’âme du lecteur s’épure aux émotions les plus vraies comme les plus ennoblies. Écoutons mademoiselle de Liron dans cette seconde nuit, qui n’amène ni rougeur ni repentir. « Ah ! mon ami, crois-moi, il faut laisser venir le bonheur de lui-même : on ne le fait pas. As-tu jamais essayé dans ton enfance de replacer ton pied précisément dans l’empreinte qu’il venait de laisser sur la terre ? On n’y saurait parvenir, on écorne toujours les bords !… Va ! nous sommes bien heureux ! Peu s’en est fallu que nous ne gâtions aujourd’hui notre admirable bonheur de l’année dernière ! Crois-moi donc, conservons notre 23 juin intact: c’est le destin qui l’a arrangé ; c’est Dieu qui l’a voulu : aussi son souvenir ne nous donne-t-il que de la joie. »

Si Ernest eût vécu à une époque chrétienne, j’aime à croire qu’il ne se fût pas marié après la perte de son amie, et qu’il fût entré dans quelque couvent ou du moins dans l’ordre de Malte. Si mademoiselle de Liron avait vécu à une semblable époque, elle se fût inquiétée, sans doute, de sa faute comme mademoiselle Aïssé ; elle eût exigé un autre confesseur que son amant ; elle eût tâché de se donner des remords, et s’en fût procuré probablement à force d’en échauffer sa pensée. C’est, au contraire, un trait parfait, et bien naturel de la part d’une telle femme en notre temps, que de lui entendre dire : « Sais-tu, Ernest, que pendant ton absence et dans l’espérance d’adoucir les regrets que j’éprouvais de ne plus te voir, j’ai fait bien des efforts pour devenir dévote à Dieu ? Mais il faut que je te l’avoue, ajouta-t-elle avec un de ces sourires angéliques, comme on en surprend sur la figure des malades résignés, je n’ai pas pu. J’en ai honte, mais je te le dis. Encore à présent, je sens bien qu’entre l’amour et la dévotion il n’y a qu’un cheveu d’intervalle, et cependant je ne puis le franchir. Hélas ! faut-il que je te dise tout ?… Ce livre que tu vois (et elle montrait l’Imitation de Jésus-Christ), j’en ai fait