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DU ROMAN INTIME.

mis, non plus attentif au chevet de son amie mourante ; Ernest en tout cela est parfait ; sa délicatesse touche ; il mérite qu’elle lui dise avec larmes, et en lui serrant la main après un discours élevé qu’elle achève : « Oh ! toi, tu entends certainement ce langage ; toi, tu sais vraiment aimer. » Ernest est parfait, mais il n’est pas idéal, mais après cette amère et religieuse douleur d’une amie morte pour lui, morte entre ses bras, après cette sanctifiante agonie au sortir de laquelle l’amant serait allé autrefois se jeter dans un cloître, et prier éternellement pour l’âme de l’amante, lui, il rentre par degrés dans le monde ; il trouve moyen, avec le temps, d’obéir à l’ordre de celle qui est revenue à l’aimer comme une mère ; il finit par se marier, et par être raisonnablement heureux. Cet Ernest-là est bien vrai, et pourtant je l’aurais voulu autre. Le chevalier d’Aydie me satisfait mieux. Il est des douleurs tellement irrémédiables à-la-fois et fécondes, que, malgré la fragilité de notre nature et le démenti de l’expérience, nous nous obstinons à les concevoir éternelles ; faibles, inconstans, médiocres nous-mêmes, nous vouons héroïquement au sacrifice les êtres qui ont inspiré de grandes préférences et causé de grandes infortunes ; nous nous les imaginons comme fixés désormais sur cette terre dans la situation sublime où l’élan d’une noble passion les a portés. — Mais nous n’en étions qu’au départ de Rome.

Lorsqu’Ernest, profitant d’un congé, arrive à Chamaillères, il y trouve donc, outre M. de Liron, fort baissé par suite d’une attaque, mademoiselle Justine, souffrante depuis près d’un an : elle déguise en vain, sous un air d’indifférence et de gaîté, ses appréhensions trop certaines. La nouvelle position des deux amans, l’embarras léger des premiers jours, le rendez-vous à la chambre, le bruit de la montre accrochée encore à la même place, le souper à deux dans une seule assiette, cette seconde nuit qu’ils passent si victorieusement et qui laisse leur ancienne nuit du 23 juin unique et intacte, les raisons pour lesquelles mademoiselle de Liron ne veut devenir ni la femme d’Ernest ni sa maîtresse, l’aveu qu’elle lui fait de son premier amant ; cette vie de chasteté, mêlée de mains baisées, de pleurs sur les