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blessait constamment par la morgue pédantesque qu’on lui suppose, et par son égoïsme qui n’est que trop marqué. Les lettres de mademoiselle Aïssé, les moins connues de toutes ces lettres de femmes, sont aussi les plus charmantes tant en elles-mêmes que par ce qui les entoure.

L’auteur de Mademoiselle Justine de Liron, qui connaît cette littérature aimable et intime beaucoup mieux que nous, vient de l’augmenter d’une histoire touchante qui, bien qu’offerte sous la forme du roman, garde à chaque ligne les traces de la réalité observée ou sentie. Pour qui se complaît à ces ingénieuses et tendres lectures ; pour qui a jeté quelquefois un coup-d’œil de regret, comme le rocher vers le rivage, vers la société dès long-temps fabuleuse des Lafayette et des Sévigné ; pour qui a pardonné beaucoup à madame de Maintenon, en tenant ses lettres attachantes, si sensées et si unies ; pour qui aurait volontiers partagé en idée avec mademoiselle de Montpensier cette retraite chimérique et divertissante, dont elle propose le tableau à madame de Motteville, et dans laquelle il y aurait eu toutes sortes de solitaires honnêtes et toutes sortes de conversations permises, des bergers, des moutons, point d’amour, un jeu de mail, et à portée du lieu, en quelque forêt voisine, un couvent de Carmélites selon la réforme de sainte Thérèse d’Avila ; pour qui plus tard accompagne d’un regard attendri mademoiselle de Launay, toute jeune fille et pauvre pensionnaire de couvent, au château antique et un peu triste de Silly, aimant le jeune comte, fils de la maison, et s’entretenant de ses dédains avec mademoiselle de Silly dans une allée du bois, le long d’une charmille, derrière laquelle il les entend ; pour qui s’est fait à la société plus grave de madame de Lambert, et aux discours nourris de christianisme et d’antiquité qu’elle tient avec Sacy ; pour qui tour-à-tour a suivi mademoiselle Aïssé à Ablons où elle sort dès le matin pour tirer aux oiseaux, puis Diderot chez d’Holbach au Granval, ou Jean-Jacques aux pieds de madame d’Houdetot dans le bosquet ; pour quiconque enfin cherche contre le fracas et la pesanteur de nos jours un rafraîchissement, un refuge passager auprès de