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avaient éprouvées, et le changement que vingt-quatre années avaient apporté sur leurs visages, rendaient l’incrédulité de leurs compatriotes assez naturelle ; leur langage italien, corrompu par l’usage des langues de l’Asie ; leurs manières tant soit peu tartares et leur costume étranger, tout enfin contribuait à les faire méconnaître pour des Italiens.

Le beau palais de la famille Polo, habité par ceux des parens qui n’étaient point sortis de Venise, était situé dans la rue Saint-Jean Chrysostome. Quand nos voyageurs demandèrent à y être admis, ceux de leurs pareils qui occupaient la maison eurent toutes les peines du monde à se persuader que ces hommes si bizarrement vêtus, dont les manières leur paraissaient si étranges, et qu’enfin ils tenaient pour morts, fussent des leurs. Ils ne voulaient pas les reconnaître.

Placés dans cette situation fausse, et désirant se faire reconnaître, nos trois voyageurs eurent recours à un expédient assez singulier. Ils firent faire dans leur palais les apprêts d’une fête magnifique, à laquelle ils invitèrent tous leurs pareils et leurs anciennes connaissances. Lorsque l’heure de se mettre à table fut arrivée, Maffio, Nicolo et Marco Polo sortirent d’un appartement intérieur, vêtus de grandes simarres couleur de pourpre et traînant jusqu’à terre, telles qu’il était d’usage d’en porter alors dans les grandes cérémonies. Après que le lavement des mains fut terminé, comme chacun se mettait en devoir de prendre place à table, ils ôtèrent eux-mêmes ces vêtemens et en mirent d’autres semblables, mais en damas cramoisi. Les premiers habits ayant été déchirés en pièces, on en distribua les morceaux aux serviteurs. Après le premier service, ils se déshabillèrent encore, passèrent de nouvelles simarres de velours cramoisi, partagèrent de nouveau entre les domestiques celles qu’ils venaient de quitter. Enfin, quand le repas fut terminé, on distribua également les robes de velours cramoisi. Alors les trois hôtes parurent vêtus d’habillemens simples et semblables à tous ceux que portait la compagnie. Tous les assistans, fort étonnés de ce qu’ils avaient déjà vu, attendaient avec impatience ce qui allait s’ensuivre. Aussitôt donc que le