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UNE COURSE DE NOVILLOS.

renversés. De grosses larmes coulaient le long de ses joues. Elle les essuya. Ses yeux, encore humides, s’étaient cependant fixés sur les miens avec une expression d’une incroyable puissance. Ils m’ordonnaient avec prière de rester. Ils me disaient : — Oh ! ne pars pas ! Tu es à moi maintenant. Tu m’appartiens. Je ne veux pas que tu partes. — Et puis il y brillait un rayon d’espoir, je ne sais quelle promesse de consolations prochaines. Ils disaient aussi : — Nous serons seuls encore. On nous laissera revenir ensemble. — En vérité, je n’eus pas la force de désobéir à ce regard. — Je restai.


XIV.

On avait cependant emporté le matador mourant. Pour venir à bout du taureau blessé, pour l’achever, les chulos avaient dû lui couper traîtreusement les jarrets avec la media luna. Cette boucherie terminée, le corps sanglant de l’animal fut entraîné par les mules hors de l’arène.

Est-ce tout ? me disais-je. Trouvent-ils que l’on ait maintenant assez versé de sang ?

Tandis que je me parlais ainsi, l’on s’occupait à diviser la place en deux portions égales, au moyen d’une barrière à hauteur d’appui, formée de pieux que l’on fixait en terre, et de planches adaptées les unes aux autres,

— Oh ! oh ! il y a division de la place, s’écria mon gros voisin, ce sera drôle.

— Vous avez du bonheur, dit, en me frappant sur l’épaule, le marquis, qui venait d’achever son second cigare du roi. Vous allez voir l’un des spectacles les plus divertissans de nos courses.

J’ai bien du bonheur, en effet, pensai-je, pour mon début, voici déjà que je viens de voir tuer deux hommes.