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ches costumes, tenant à la main leurs manteaux aux couleurs éclatantes. De grands applaudissemens saluèrent l’arrivée de quelques-uns d’entre eux ; mais ce fut une joie, ce furent des rires et des transports universels, lorsqu’au lieu de picadors à cheval, on vit paraître dans la place deux espèces de Sancho Pança, portant vestes bariolées et chapeaux pointus, montés sur des ânes, et brandissant fièrement de très longues lances. Ils se placèrent comme se placent d’ordinaire les picadors, près de la porte du toril, le long de la barrière, à quelque distance l’un de l’autre.

Un profond silence régnait dans tout le cirque.


— Le premier taureau va être lancé, me dit la marquise. Mais ne vous alarmez pas ; ce n’est encore qu’un taureau embolado. Il ne s’agit pas cette fois d’un combat sérieux.

Un roulement de tambour se fit entendre. C’était le signal. Je me sentais très ému. Je repoussai au fond de la loge une chaise qui se trouvait entre la mienne et celle de Piedad.

Les portes du toril s’ouvrirent. Un jeune taureau embolado s’élança dans l’arène. L’animal, étonné, s’arrêta d’abord, grattant du pied la terre, mais dès qu’il eut aperçu le premier Gilles, il se précipita soudain vers lui, et le heurtant avec fureur, il le renversa lui et son âne, leur faisant faire du coup cinq ou six culbutes l’un sur l’autre, puis, sans s’arrêter, courant au second cavalier qui le défiait et le menaçait de sa lance, il le désarçonna de même et le fit aussi rouler sur la poussière, ainsi que sa monture.

À cette première escarmouche qui fut l’affaire d’un instant, de joyeux applaudissemens éclatèrent aux amphithéâtres. Moi, cependant, je tremblais pour ces malheureux bouffons, si rudement jetés sur le sable. Je fus néanmoins bientôt rassuré. Pendant que les capeadors entraînaient le taureau vers l’autre bout de l’arène en agitant devant lui leurs manteaux, nos deux chevaliers se relevèrent eux-mêmes. Ils n’étaient, il est vrai, nullement blessés, et firent, au contraire, mille gestes plaisans, mille grotesques bravades, en brandissant leurs lances qu’ils avaient