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II.

On se doute bien que je fus exact au rendez-vous que m’avait donné la marquise. J’arrivai donc chez elle le dimanche un peu avant trois heures. Je la trouvai déjà tout habillée. Elle avait mis une basquine garnie de boutons d’or au bas de la jupe et sur les manches, puis la longue mantille noire. C’était le costume complet de maja. Il lui allait délicieusement. Jamais elle ne m’avait semblé si belle, si espagnole !

On vint l’avertir que sa voiture était prête. Nous partîmes.

La journée était magnifique. Il n’y avait pas un nuage au ciel. Ce soleil de février était si ardent, que la marquise baissa l’un des stores de soie verte de la voiture.

— Nous aurons bien beau temps, lui dis-je alors, m’applaudissant d’avoir enfin osé rompre, par cette ingénieuse observation, le silence que nous avions gardé jusque-là l’un et l’autre.

— Oui, la course sera belle, reprit-elle ; puis, après une pause de quelques momens, ne vous semble-t-il pas cependant, ajouta-t-elle, qu’il convient peu à une femme d’assister à des spectacles pareils à celui que nous allons voir ? Il n’y a plus vraiment beaucoup d’Espagnoles de la société qui aient maintenant le courage de supporter de si cruels plaisirs. Moi-même je n’y suis pas fort habituée, je vous assure. Pourtant vous m’allez croire peut-être bien insensible et bien inhumaine.

— Oh ! non pas, m’écriai-je, vivement touché par cette justification à laquelle elle daignait descendre, et que rendait pour moi si complète la douce et tendre expression de son regard, oh ! non pas. Je serais trop à plaindre, madame, si je ne pouvais compter sur beaucoup de pitié dans votre cœur.