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un peu infirme, ainsi que l’empressement et le soin avec lequel elle volait au-devant de ses plus petits besoins. Ces choses-là consistent surtout dans la manière dont elles sont faites, en précautions insignifiantes en apparence, mais qui n’échappent pas aux personnes qui sentent.

Je débutai en leur disant que je m’estimais heureux de pouvoir leur adresser un compliment, dont mon grand-père, qui avait eu l’honneur de leur faire la cour cinquante ans auparavant, m’avait chargé pour les belles solitaires de Llangollen. Celles-ci avaient perdu depuis ce temps-là leur beauté, mais nullement leur bonne mémoire. Elles se souvinrent fort bien du comte C., rappelèrent même une vieille histoire à son sujet, et s’étonnèrent seulement qu’un aussi jeune homme fût mort si tôt. Les honorables demoiselles ne sont pas seules intéressantes dans ce lieu, leur petite maison l’est aussi beaucoup, et elle renferme de vrais trésors. Il n’est pas de personne remarquable, depuis un demi-siècle, qui ne leur ait envoyé en souvenir un portrait, un antique, ou quelque autre curiosité. Cette collection, une bibliothèque bien garnie, une contrée agréable, une vie libre de soucis et parfaitement égale, leur profonde amitié entre elles, voilà tous les biens qu’elles possèdent ; mais, à en juger par la vigueur de leur âge et la sérénité de leur âme, il faut qu’elles n’aient pas trop mal choisi.

J’avais visité les bonnes dames par une pluie à verse, et c’est par une pluie semblable que je continuai mon voyage, d’abord aux ruines d’une vieille abbaye, puis au palais d’Owen Glendower, dont tu dois te souvenir par Shakspeare et par mes lectures. Les diversités de cette contrée sont extraordinaires : quelquefois on est environné par un véritable chaos de montagnes de toutes les formes ; puis, en apercevant une vaste étendue de pays, on se croit de nouveau dans la plaine jusqu’au moment où l’on se retrouve enfermé dans une étroite et sombre vallée. À quelques pas devant vous, le fleuve fait tourner régulièrement un paisible moulin, et presque aussitôt il mugit dans un abîme en traversant des blocs de rochers, et forme une magnifique chute d’eau. Juste à cette place, en face de la cascade du Pont-y-Glen, je rencontrai un très élégant droschki anglais (copie fort améliorée de l’original viennois), attelé de quatre jolis chevaux, et dans lequel se trouvait une jeune fille plus jolie encore, accompagnée d’une dame plus âgée, mais encore fort