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VOYAGE EN ANGLETERRE.

caractère. De Royal Exchange, où l’on voit les négocians, j’allai, toujours conséquent dans ma manière de visiter l’Angleterre, à Exeter Echange, où l’on voit les animaux étrangers en leur qualité de représentans des colonies. Là, je rencontrai de nouveau un lion, mais cette fois un lion véritable, nommé Néron, qui, outre ses manières apprivoisées qui le distinguent dans notre climat, a encore le mérite d’avoir donné six générations de lions nationaux à l’Angleterre. Il est d’une grandeur énorme et d’un aspect vénérable, mais il se repose maintenant sur ses lauriers, et dort royalement presque tout le jour. S’il se réveille de mauvaise humeur, son rugissement fait encore trembler tous les animaux ordinaires qui l’entourent. Ceux-ci consistent en créatures de toutes les espèces, en éléphans, en tigres, en léopards, en hyènes, en zèbres, en singes, en condors, en perroquets, et en oiseaux de toutes les zones. Il est singulier que tous ces animaux demeurent au second et au troisième étage. Ce grand assortiment et le bon marché surtout attirent beaucoup de chalans. L’ambassadeur du dernier roi de Wurtemberg avait, il m’en souvient, beaucoup plus à faire en ce lieu qu’à Saint-James et dans Downing-Street. Je sais même qu’il manqua de perdre son poste à cause d’une grande tortue qu’il avait à se procurer.

En revenant à mon hôtel, nous passâmes devant un palais qui fournit à M. Tournier, mon cicerone, l’occasion de me faire l’histoire suivante.

Ce palais était celui de la maison de Montague, que Shakespeare a placée à Vérone, et dont l’unique héritier fut volé à l’âge d’un an, sans qu’on entendît plus parler de lui. Après huit années de recherches inutiles, le maître ramoneur du quartier envoya un jour, pour nettoyer la cheminée de la chambre à coucher de lady Montague, un petit garçon dans lequel, par un heureux hasard et à un signe particulier, on reconnut l’enfant perdu : anecdote qui donna lieu plus tard à un vaudeville français. En mémoire d’un bonheur aussi inespéré, lady Montague donna long-temps, et je crois qu’il en reste encore quelque vestige, une grande fête annuelle à la corporation des ramoneurs, solennité à laquelle elle assistait avec toute sa maison en habits de fête, et où elle s’occupait elle-même du bien-être de ses hôtes. L’enfant devint plus tard un jeune homme très distingué, mais très excentrique et très fougueux, qui trouvait son plaisir dans des divertissemens extraordinaires et dans les longs voya-