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MŒURS DES AMÉRICAINS.

comme leurs mères, les esclaves légitimes de leur père, et travaillaient comme tels dans sa maison et dans ses plantations. C’était surtout son plaisir d’être servi à table par eux, et les orgies hospitalières qui ont rendu si célèbre sa maison de Montecielo étaient incomplètes, si le verre dans lequel il buvait, ne lui était présenté par la main tremblante de quelqu’une de ces déplorables créatures.

« J’ai entendu raconter à un démocratique adorateur de ce grand homme, que quand il arrivait que quelques-uns de ces enfans, nés d’esclaves quarterones et suffisamment blancs pour échapper au soupçon de leur origine, parvenaient à s’évader, il ne voulait pas qu’on les poursuivît, et disait en riant : « Que les drôles se sauvent s’ils peuvent ; je ne veux pas m’y opposer. » On citait ce trait en présence d’une société nombreuse, pour prouver la noblesse et la douceur d’âme de M. Jefferson, et il fut accueilli par un sourire universel d’approbation.

Ou la vertu et le vice ne sont que des mots, ou une telle conduite est d’un tyran sans principe et d’un libertin sans cœur. »


En voilà bien assez sur ce triste sujet. Le passage suivant, en prouvant que dans le pays de l’égalité, le cœur humain n’est pas plus à l’abri de la manie des distinctions aristocratiques que dans notre Europe encore à moitié féodale, réveille des idées qui n’ont rien de pénible. — Il s’agit d’un bal donné à Cincinnati, le 22 février, jour anniversaire de la naissance de Washington.


« Je fus réellement surprise du coup-d’œil que m’offrit la salle : elle était vaste et remplie d’une société fort bien mise, au milieu de laquelle on distinguait de très jolies personnes. La mise des hommes était extrêmement recherchée ; mais j’étais en Amérique depuis trop peu de temps, pour n’être point très surprise de reconnaître dans la plupart des petits-maîtres tirés à quatre épingles, qui passaient devant moi, les hommes que j’avais coutume de voir assis derrière les comptoirs, ou appuyés à la porte des boutiques de la ville. Toutefois les plus belles et les plus élégantes se mettaient pour eux en frais de coquetterie et de